CRITIQUE FILM - Sortie en salle du premier film de l’iranien Alireza Khatami. Prix du meilleur scénario dans la sélection Orizzonti à la dernière Mostra, « Les Versets de l’oubli » raconte quelques jours de la vie d’un vieil homme, tenancier d’une morgue, qui retrouve le corps d’une anonyme.
Il va falloir être un poil courageux pour pouvoir apprécier à sa juste valeur ce premier film de l’Iranien Alireza Khatami, ici expatrié au Chili. Dans Les Versets de l’Oubli, aucune frénésie, encore moins d’excitation. Le jeune cinéma de Khatami semble vouloir se poser là, dans un coin du décor, plus ou moins éloigné des pérégrinations d’un vieil homme qui s’occupe d’une morgue dans la périphérie d’une grande ville sud-américaine. Et si les occupations de cet homme qui ne se souvient pas de son propre nom ne sont déjà pas forcément palpitantes, le regard distant et épuré de Khatami n’aide pas non plus à entrer pleinement dans cette fable minimaliste.
Chronique allégorique en forme de métaphore en apesanteur, la lenteur et l’épure des Versets de l’Oubli permet, malgré tout, de mettre en valeur ses quelques brillants éclats. C’est le cas lorsque survient l’un des seuls mouvements de caméra du film, composé à 99 % de plans fixes, au moment où une pluie s’abat à l’intérieur d’un bâtiment ; lorsqu’une baleine se met à survoler le ciel, comme si celle échouée au milieu du village dans Les Harmonies Werckmeister de Béla Tarr s’était soudainement envolée, avais pris de la couleur, de l’envergure et s’en allait vers les cieux ; ou au moment où les morts anonymes décident de remonter à la surface. Ces quelques sursauts s’imposent comme l’affirmation d’un jeune cinéaste plein d’avenir.
Passé décomposé
L’inspiration d’Alireza Khatami lors de ces instants magiques est indéniable, et elle permet de mieux apprécier le reste des errements pesants et mutiques du vieil homme sans nom. Celui-ci, qui cherche à donner une sépulture décente à une manifestante anonyme, tabassée par une milice autoritaire qui va tenter d’étouffer l’affaire, passera tout le film à essayer de retrouver les proches de cette jeune fille, de régler la paperasse ou d'organiser un enterrement digne de ce nom. L’austérité du récit, plutôt rebutante, en découragera plus d’un. À juste titre. Khatami aurait pu, dans ce plaidoyer en faveur du maintien de la mémoire à travers les âges, dynamiser un peu sa mise en scène plutôt que de la réduire en un cliché de cinéma d’auteur, obsédé par la durée et le temps qui passe.
La plus belle idée des Versets de l’Oubli se situe justement dans une scène où la temporalité du film se voit être, enfin, dynamitée de l’intérieur, lorsque le vieil homme regarde dans le rétroviseur d’une voiture, voyant le passé s’intégrer au présent par le biais d’un revirement chromatique au sein d’un seul et même plan. Une scène magnifique qui laisse envisager de belles choses pour la suite. On espère simplement que pour ses prochains films, Alireza Khatami intègre toutes ces petites trouvailles visuelles et temporelles dans un récit plus pêchu, en se reposant un peu moins sur la seule beauté de ses plans fixes. Si montrer le temps qui passe et la mémoire qui se délite s’avère être l’un des thèmes de son cinéma, rien n’empêche Khatami d’y intégrer une dose de mouvement.
Les Versets de l'oubli d'Alireza Khatami, en salle le 1er août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.