CRITIQUE / AVIS FILM – Pour son dernier film " Les Volets verts ", adapté du roman éponyme de Georges Simenon, le réalisateur Jean Becker met en scène le grand Gérard Depardieu et l’inégalable Fanny Ardant.
Les Volets verts, de l’autre côté du miroir
Beaucoup de belles âmes et de grands talents se sont penchés sur le berceau de Les Volets verts, et heurtés à bien des obstacles. Jugez plutôt : si Georges Simenon a écrit son roman en 1950, l’idée de l’adaptation est née de Maurice Pialat. Il était soutenu par Gérard Depardieu, à qui Simenon semble décidément bien réussir (Maigret). Roman pourtant réputé inadaptable au cinéma, c’est finalement Jean-Loup Dabadie qui se colle à l’écriture ciselée du scénario. Mais il décède juste après la livraison de la première version.
Jean Becker, immense réalisateur à qui l'on doit notamment L’été meurtrier, Deux jours à tuer ou Effroyables jardins, est sollicité pour retravailler le scénario et réaliser le film. Et comment ne pas être touché quand ce monument de cinéma évoque le fait que ce « film hors normes est peut-être son dernier » ?
Le résultat de cette épopée est plutôt réussi, transmettant parfaitement la nostalgie d’une époque. Les lecteurs de Georges Simenon retrouveront assurément sa patte et l’ambiance de ses romans. « Pour être aimé, il faut être aimable » faisait dire François Truffaut à Fanny Ardant dans La Femme d’à côté, qui réunissait déjà à l’écran l'actrice et Gérard Depardieu. Une affirmation qui va comme un gant à Jules Maugin, personnage qu’interprète brillamment l’acteur.
Jules est un acteur au sommet de sa gloire dans les années 70. Véritable monstre sacré, adulé, il triomphe tous les soirs au théâtre aux côtés de Jeanne Swann (Fanny Ardant). Mais l’homme, au tempérament dur et sec, traverse une période complexe : son corps fatigue de ses excès en tous genres. Et Jeanne, lassée de l’attendre, est partie dans les bras d’un autre. Jules prend alors douloureusement conscience d’avoir laissé passer sa chance. Le succès ne lui suffit plus. Il a envie, besoin d'ailleurs.
Depardieu, l’homme derrière le monstre sacré
Ce qui est intéressant dans Les Volets verts, c’est d’accompagner cet homme qui, pour combler encore davantage le vide de son existence, décide de poursuivre son autodestruction inexorable. Il se noie littéralement dans la nourriture et l’alcool après les représentations. C’est, semble-t-il, le revers de la médaille de la « très difficile et douloureuse vie de fou des grands acteurs, qui se transforment sans arrêt, se laissent aller à devenir des personnages, au risque de s’oublier ».
On prend d’ailleurs un réel plaisir à voir ces scènes dans les restaurants et les bistrots, comme un bel écho/hommage à celles que filmait si bien Claude Sautet - qui avait souvent pour scénariste Jean-Loup Dabadie. On ne serait d’ailleurs pas surpris que la scène dans laquelle Jules déclame un menu devienne anthologique, comme celle qui a marqué les esprits dans Cyrano de Bergerac.
Jean Becker, qui a déjà tourné deux fois avec Gérard Depardieu (Elisa, La Tête en friche), dit de lui « qu’il est instinctif et juste, qu’on ne le dirige pas mais qu’on le regarde jouer puisqu’il sait mieux que le réalisateur comment il va interpréter ». Et c’est vrai que le rôle est taillé sur mesure, d’autant que Jean-Loup Dabadie, qui connaissait bien la vie de Gérard Depardieu, s’est permis de « mettre de sa vie dans le scénario ».
Dans les coulisses
L’autre intérêt du film, c’est de montrer au spectateur l’envers du décor. On saisit mieux comment travaillaient les acteurs de ces années-là, les débuts des transitions du théâtre au cinéma, à la publicité ou même aux séries. On voit les relations avec les producteurs ou les techniciens, mais aussi les envieux, ou les profiteurs des largesses de Jules. Pourtant, l’acteur n’en demeure pas moins entouré. Car ce qui est joliment tendre dans Les Volets verts, c’est la façon dont Jules découvre la bonté simple chez plusieurs personnes qui vont l’accompagner au bout de son chemin.
Et ce qui est le plus touchant dans la mise en scène de Jean Becker, c’est l’humanité dont Jules va faire preuve envers eux. Une humanité que personne n’aurait soupçonnée, pas même lui. Ainsi son chauffeur Narcisse Narcisse (Fred Testot), qui le trimballe de restaurants en bistrots, seul ou avec son ami Félix (Benoît Poelvoorde). Son habilleuse Maria (Anouk Grinberg) qui dit tout ce qu’elle pense sans prendre de pincettes ou encore Alice (Stéfi Celma), qui l’émeut par sa naïveté et sa petite fille. C’est bien d’émotion à l’état pur dont il s’agit dans Les Volets verts, sans fards ni paillettes. L’émotion d’un homme face à lui-même. Un homme qui, quand le rideau de sa vie tombe, comprend qu’il ne joue plus.
Les volets verts de Jean Becker, en salles le 24 août 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Propos recueillis lors du Festival Les Vendanges du 7ème Art à Pauillac.