CRITIQUE / AVIS FILM –" L’Homme debout ", premier long métrage de Florence Vignon, dresse avec pudeur le portrait de deux héros confrontés à l’inhumanité des choix des entreprises. Avec les remarquables Jacques Gamblin et Zita Hanrot.
L'impitoyable monde du travail
Inspiré du roman de Thierry Beinstingel « Ils désertent », le premier long métrage de Florence Vignon devait s’appeler au départ L’échappée belle. Son titre définitif est devenu judicieusement L’Homme debout. Car le sujet de cette histoire, racontée avec délicatesse par la scénariste des films de Stéphane Brizé (Mademoiselle Chambon, Une vie), est bien la verticalité. Le film donne brillamment à voir comment, alors qu’on exige d’eux l’impossible, un homme va se redresser et une femme se dresser.
L’homme debout réussit parfaitement à donner à voir à l’écran les mouvements intérieurs de chacun des personnages, qui s’opèrent en miroir l’un de l’autre. Henri Giffart (Jacques Gamblin), VRP en bout de course d’une entreprise de papiers peints, est entièrement dédié à son travail, surtout depuis le départ de son épouse et de son fils. Inspiré par le poète Rimbaud, « jamais assis et grand voyageur », il arpente avec entrain le terrain pour rencontrer ses vieux clients. Il s’est lié d’une amitié avec Julie (rôle tenu par la réalisatrice), tenancière bienveillante de l’un des hôtels de sa tournée.
Pour plaire au grand patron parisien (Thomas Chabrol), le directeur Claude Marcineau (Cédric Moreau) veut rajeunir la boîte et forcer Henri à prendre sa retraite. Il lui met dans les pattes Clémence Alpharo (Zita Hanrot), à peine sortie de son école de commerce. Et le marché est simple : obtenir son CDI à condition de pousser Henri vers la sortie. Pour la rigide Clémence, ce travail est sa chance pour mettre de la distance avec sa mère étouffante (Brigitte Aubry) et sa sœur instable Louisa (Carima Amarouche).
Un petit grain de sable dans une machine bien huilée
Le film donne ainsi à voir la rencontre de ces deux êtres solitaires devenus les pions de ce type de décisions prises au nom de la performance de l’entreprise. Des décisions parfois absurdes et vides de sens. Car il est bien question dans L’homme debout du sens du travail. Ce qui en fait aussi un film social, qui dénonce avec douceur la société de consommation et la façon dont les entreprises négocient parfois mal leur tournant vers la modernité.
Avec un ton mi-figue mi-raisin, mais sans revendication aucune, le film interroge en effet le spectateur empathique. Sur l'impact de ces méthodes sur des salariés investis. Sur la place et la réaction de chaque génération. Sur l’ambition de vouloir faire table rase du passé pour être dans le coup. Au risque de détruire la structure d’une entreprise, à l’image d’une maison dont Henri est pourtant l’un des murs porteurs.
Une mise en scène parfaitement à-propos
La mise en scène de L’homme debout est particulièrement habile. Elle permet d’encore mieux saisir la solitude et l’incompréhension de Henri et Clémence. Si les archétypes des personnages secondaires de l’entreprise, qui manquent sacrément de courage, sont moqués, la frontière de la parodie n’est jamais toutefois dépassée. Marcineau est ainsi présenté comme un pleutre qui ne s’intéresse qu’à sa carrière. La secrétaire Odile (Tatiana Goussef) et le commercial Mathias (Vincent Jaspard) cancanent et jugent. Le grand patron est hautain et déconnecté de ses filiales provinciales.
Même les couleurs lumineuses choisies pour les décors ou les papiers peints contrebalancent joyeusement les manigances ténébreuses. L’homme debout évoque brillamment comment l’une, à son propre détriment, va tenter de faire vaciller l’autre, au risque de vaciller elle-même. La réalisatrice propose au spectateur d’assister, toujours en effet miroir, à l’écartèlement de Henri et Clémence, tous deux heurtés dans leurs principes et valeurs. Cet écartèlement invivable que connaissent si bien ceux qui font des burn-out, entre ce qui les presse et ce qui les meut.
C’est en effet précisément grâce aux valeurs qu’ils partagent plus qu’elles ne les séparent que Clémence et Henri pourront se raccrocher l’un à l’autre et se mettre debout, ensemble et avec dignité. L’homme debout se révèle donc un bijou d’humanité, avec une interprétation d’une grande sensibilité des attachants Jacques Gamblin et Zita Hanrot.
L’Homme debout de Florence Vignon, en salles le 17 mai 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.