CRITIQUE FILM - "L’homme qui a surpris tout le monde" évoque l’homosexualité dans la société russe. Ce long-métrage, qui peut passer inaperçu, s’avère au final une œuvre cinématographique superbement réussie.
L’homme qui a surpris tout le monde est une œuvre pour le moins surprenante. L’auteur et le réalisateur, Natalya Merkulova et Aleksey Chupov, y font preuve d’une maîtrise d’un sujet grave, l’homosexualité dans la société russe, mais font également la démonstration d’une maîtrise du langage cinématographique impressionnante. Derrière sa fausse apparence de film d’auteur élitiste et ennuyeux, ce film s’avère en fait une œuvre cinématographique qui utilise brillamment les possibilités de ce langage.
L’homme qui a surpris tout le monde suit Egor, un garde forestier qui opère aux confins de la Taïga sibérienne. Cet homme tranquille vit en bon père de famille avec son fils, sa femme qui attend un deuxième enfant et son beau-père qu’ils hébergent. Un matin, cet homme respecté découvre qu’il est atteint d’une maladie incurable et qu’il lui reste deux mois à vivre. Face à cela, Egor tente de trouver une solution, sa femme refuse de se résigner et les villageois lui apportent son soutien. Alors que tout espoir est vain, Egor va avoir une réaction qui va surprendre et changer le regard de tout le monde.
L’ironie et le talent des grands scénaristes
Les grands scénaristes savent bien que l’ironie n’est pas un vain mot à qui veut raconter une histoire forte. La définition de l’ironie est la suivante : figure de style qui consiste à présenter comme vraie une proposition manifestement fausse afin de faire ressortir son absurdité. Dans L’homme qui a surpris tout le monde, l’ironie est présente partout, à commencer dans l’histoire elle-même. En effet, celle-ci se dissimule dans une formule simple : « Et si ! ». Et si un homme apprécié de tous et qui représente le bon modèle apprend qu’il est condamné et qu’il ne lui reste plus que deux mois à vivre. Et si c’est homme sage, mais qui n’a plus rien à perdre, décidait face à la mort d’être ce qu’il est vraiment. Et si cela arrive, comment ses proches réagiraient ? Voilà le postulat parfait que pose ce film. Et comme le dit la définition, une bonne ironie a vocation à faire ressortir l’absurdité, et c’est là la grande réussite de ce film. La réaction d’Egor met ses proches faces à une absurdité. Cette absurdité amène tous les autres sentiments, l’incompréhension, l’hypocrisie, la honte, la cruauté et enfin la raison. Cette ironie trouve son apogée dans une scène splendide et pleine… D’ironie, qui fait se redresser le spectateur de son siège.
Par cette parfaite utilisation de cet outil, le réalisateur et le scénariste démontrent toute l’absurdité qu’a la société russe par rapport à l’homosexualité.
Des personnages parfaitement pensés
La force de ce film ne réside pas seulement dans l’écriture très juste de ses personnages, elle passe aussi par l'image qu’ils renvoient. Ainsi, Egor, parfaitement interprété par Evgeniy Tsyganov, ressemble à ce qu’il donne l’impression d’être. Un homme sage, sans histoire, qui ne fait pas de problèmes, en filigrane qui fait ce que sa société lui a inculqué. Faire son travail sans poser de question, accepter les conditions sans trop se plaindre, faire des enfants et être un bon père de famille. Mais cet homme-là peut aussi être autre chose, et les apparences s’avèrent trompeuses surtout lorsqu’il croise des inconnus qui voient en lui une véritable femme. Cette fausse apparence est alors dévoilée chez tous les autres personnages. Et lorsque celle-ci s’écroule, c’est le vrai visage qui est mis à nu, l’intolérance ou la tolérance. C’est au final, face à cela que chaque personnage va être confronté, faire un choix entre les deux attitudes.
L’homme qui a surpris tout le monde met également en scène toutes les figures de la famille, le patriarche avec le beau-père, que l’ordre des choses à rendu aigri et qui va lui aussi réagir aux événements. La femme, qui est partagée entre le regard des autres et son amour sincère pour son mari. Et l’enfant qui aime son père, qui se retrouve confronté à cela et qui a pour lui l’innocence.
Le silence, une parole éloquente
Les dialogues dans ce film sont également pleinement pensés et apportent une tension surprenante. Ainsi, dès le début de l’histoire, Egor est présenté comme un homme qui parle peu. Sa parole est également conventionnée. Lorsqu’il fait un choix radical, il ne parle plus du tout. Ce silence est extrêmement significatif et… parlant. Par son refus de s’exprimer, il impose son choix et refuse toute justification ou explication. Il laisse aux autres le soin de parler. Ce silence est en parfaite adéquation avec son choix et son attitude. Il a décidé d’être. Lui ne se pose plus de questions, il n’a plus de problèmes, ce sont bel et bien les autres qui en ont. Ce silence si édifiant fonctionne mieux que n’importe quelle autre réplique et il force les autres à lui parler.
À partir du moment où Egor a fait son choix, son corps, son attitude, ses actions parlent d’elles-mêmes. Le simple fait de se montrer aux yeux des autres habitants est comme une prise de parole.
Ainsi L’homme qui a surpris tout le monde est une œuvre cinématographique qui utilise avec beaucoup de justesse les ressorts scénaristiques et cinématographiques. Pour qui attend du cinéma qu’on lui présente une œuvre avec un auteur qui raconte une histoire qui vaut le coup, avec des personnages aussi entiers qu’intéressant.
L'homme qui a surpris tout le monde, en salle le 20 mars 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.