CRITIQUE FILM - Avant la sortie de « Contes de juillet », qui réunira deux de ses court-métrages, voici « L’Île au trésor » de Guillaume Brac, un documentaire entièrement consacré à l’île de loisirs de Cergy-Pontoise. Une galerie de portraits et de rencontres sur les berges de l’Oise.
L’été, le soleil brille sur l’île de loisir de Cergy-Pontoise. C’est la saison primordiale et le lieu féerique, qu’a choisi Guillaume Brac pour tourner son documentaire, sobrement intitulé L’Île au trésor. Sous une lumière dionysiaque, nimbée de reflets et de rayons discrets, Guillaume Brac, que l’on connaît pour ses fictions situées à la lisière du documentaire (Tonnerre ou Un monde sans femmes), se résout à capter les soubresauts et les pulsations d’un lieu qui paraît prendre vie sous nos yeux. Il suffit de voir cette carte placardée derrière les responsables de l’île de loisir pour imaginer ce plan comme étant le schéma d’un organisme vivant. Le sens des déambulations et les tropismes pluriels abordés dans L’Île au trésor y sont guidés par des rencontres, des témoignages, et rythmés par des cycles jour/nuit et autres perturbations climatiques, dans une construction à la fluidité naturelle.
Le dessous des cartes
Le fonctionnement technique du parc n’intéresse, au fond, que très peu Brac. Bien que certains aspects logistiques y soient évidemment abordés, l’essentiel ici ne vient pas tant du fonctionnement lui-même que des conséquences de celui-ci, des reflets de société ou des symboles qui pourraient s’y trouver. La logistique est, dans L’Île au trésor, un moyen d’observation plus qu’un sujet d’étude : les passages dans le bureau de la direction permettent de lier les séquences entre elles, tout en apportant une parenthèse contextuelle à cet amas de rencontres et d’instants de vie, en apparence disparates.
Au fur et à mesure que les rencontres et les portraits se multiplient, une progression intéressante semblent d’ailleurs se mettre en place entre deux décisions prises au poste de la direction. Si L’Île au trésor s’ouvre sur des jeunes qui tentent de frauder en passant par des passages dérobés, puis poursuit son chemin avec une série de tentatives de drague plus ou moins cavalières, quelques témoignages plus intimes, plus douloureux, semblent se décanter et apparaître à la surface de ce quotidien faits de rencontres et de baignades anodines.
Un professeur à la retraite confie le réconfort apporté par une jeune fille durant l’un de ses séjours sur l’île, qui lui a fait oublier sa solitude le temps d‘un week-end. Un jeune employé angélique se remémore les bêtises et les exploits réalisés chaque été dans ce lieu qui lui est cher. Puis un veilleur de nuit, en évoquant un lourd passé, fait entrer le film dans une autre dimension. Bien que son travail ne paraisse pas idyllique, il est, selon lui, arrivé ici par miracle. Par la suite, l’histoire d’une famille afghane qui a dû débarquer en France du jour au lendemain, fait écho à son récit d’exilé. Ces différents portraits, chacun montré dans le film par l’intermédiaire de tropismes et d’activités passagères (la transgression, la drague, le réconfort, la réunion, la nostalgie, l’enfance, la découverte ou le travail), transforment très vite cette île en un lieu de recueillement et d’émerveillement utopique. Une île à laquelle on accéderait par la voie des eaux, où toutes les âmes, en peine ou déjà radieuses, trouveraient refuge. Bref, un paradis terrestre où règnent, toujours, quelques règles de bonne conduite.
Partie de campagne
On ne sait alors plus si c’est ce lieu qui a fourni cette atmosphère protectrice et rassurante au film de Brac, ou si, au contraire, c'est le regard de Brac qui a transformé cette île de loisirs en véritable cocon maternel. Ce doute marque la réussite indéniable du film. Dans son équilibre remarquable, L'Île au trésor rend compte à la fois d'un regard singulier et personnel, et du lieu grâce auquel il puise toute sa matière et toute son énergie. Et quoiqu’il en soit véritablement de cette distinction entre la puissance du lieu et celle du regard qui s’y dirige, la séquence finale, où deux jeunes frères, esseulés, se tiennent la main pour attendre le haut d’une colline, fait converger à la fois la beauté sensationnelle d'une île en forme de territoire à conquérir, celles des personnes qui s’y réfugient, et le regard inspiré d’un cinéaste qui s'affirme.
L'Île au trésor de Guillaume Brac, en salle le 4 juillet 2018. Ci-dessus la bande-annonce.