CRITIQUE / AVIS FILM - Polar magnifique et effrayant, "Limbo" voit deux policiers utiliser une jeune toxico pour attraper un tueur en série qui sévit dans les bas-fonds d'un Hong Kong qui croule sous les déchets.
Hong Kong, ville poubelle pour meurtres en série
Après avoir œuvré en Chine pour la réalisation de la saga The Monkey King (trois films en 2014, 2016 et 2018), le cinéaste Soi Cheang (originaire de Macao) est revenu à Hong Kong pour Limbo, un polar sombre, violent et fascinant, adapté du roman Wisdom Tooth de Lei Mi - qui se déroule lui en Chine.
Le réalisateur y dépeint la ville de Hong Kong comme on l’a rarement vue. Sale, jonchée de poubelles à chaque coin de rue. Par sa mise en scène, le cinéaste provoque un véritable dégoût et met nos sens à rude épreuve. Derrière l’écran, on croirait ainsi sentir l’odeur nauséabonde de ces déchets. Un contraste saisissant avec la beauté de l’esthétique noir et blanc de Limbo.
Soi Cheang fait de cette ville un objet difficilement identifiable dans le temps et l’espace. Hors du temps même, avec un style parfois presque futuriste – par des plans du métro aérien -, là encore pour contraster avec les quartiers pauvres. Ce décor est en cela l’acteur principal de Limbo. Un lieu mystérieux qui va servir à révéler la part sombre des hommes et d’une société malade.
On y suit Cham Lau (Gordon Lam), un flic vétéran chargé d’enquêter sur une série de meurtres. Pour l’accompagner, Will Ren (Mason Lee), plus jeune mais mieux gradé que son ainé, va être le témoin des méthodes peu académiques de son collègue.
Limbo, un grand polar étouffant et poisseux
Tout en enquêtant sur les meurtres de femmes amputées, Cham Lau retrouve Wong To (Cya Liu), une jeune toxico qui a bouleversé sa vie. Après une peine de prison, elle tente désormais de s’en sortir dans les bas-fonds de la ville. Elle deviendra alors d’abord la proie de l’inspecteur, aveuglé par un désir de vengeance. Avant d’être utilisée comme appât pour attraper le tueur.
L’association de ces deux flics et de leur enquête rappelle dans un premier temps l’inévitable Seven (1996) de David Fincher. D'ailleurs, à la boîte qu’ouvrait Brad Pitt dans le dernier acte du film, Soi Cheang répond avec une main dans une barquette de nourriture, accentuant toujours plus le sentiment de dégoût.
Mais la représentation que fait Soi Cheang des forces de l’ordre dans Limbo renvoie davantage à l’excellent Memories of Murder (2004) de Bong Joon-ho, tout en poussant à l’extrême leur caractère antipathique. Car le cinéaste n'en fait pas des héros. Ils sont des hommes qui en oublient leur rôle et leur valeurs, aveuglés par leur intérêt.
La révélation Cya Liu
La vraie héroïne, c'est alors Wong To, également une victime. Pendant près de deux heures, la jeune femme est violentée, trimballée et manipulée par ces hommes, prêts à la livrer en pâture à d’autres délinquants et au tueur. Le film devient en cela un survival tendu et effrayant, rappelant J'ai rencontré le Diable (2011), et marqué par le désir de Wong To de s’en sortir coûte que coûte. En atteste cette superbe course poursuite qui s'étale sur plusieurs minutes et durant laquelle Soi Cheang fait parler sa virtuosité derrière la caméra.
L’empathie pour cette héroïne doit alors beaucoup à la performance de Cya Liu, révélation magnifique, sublimée par l’esthétique si particulière du film. Bien que ses collègues masculins ne soient pas en reste dans leurs incarnations (surtout Gordon Lam), la comédienne marque les esprits, au même titre que Hiroyuki Ikeuchi, absolument terrifiant en tueur.
Sans sombrer dans la gratuité et le désir de choquer par la violence, il ressort ainsi de Limbo une vision terrible d’un monde cauchemardesque que même la pluie torrentielle du dernier acte ne pourra nettoyer. Un monde où les corps, de femmes et de mannequins, s’entassent dans les quartiers pauvres et se perdent au milieu des ordures d'Hong Kong. Une proposition intense, sombre et brutale qui ne laisse décidément pas indemne.
Limbo de Soi Cheang, en salles le 12 juillet 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.