CRITIQUE / AVIS FILM – Jessica Hausner s'essaie à la science-fiction dans "Little Joe". Sa mise en scène trop sophistiquée est un frein considérable pour se sentir concerné par cette histoire qui n'a pas l'air de savoir précisément ce qu'elle a à raconter.
Proposition intéressante que celle de Jessica Hausner. La réalisatrice autrichienne prend le film de contamination à l'envers. Ici, une plante développée par un laboratoire permet à ceux qui inhalent son pollen de se sentir plus heureux. Une trouvaille qui pourrait changer la vie de bon nombre de gens, à la recherche d'une petit plus pour donner un nouveau sens à ce qu'ils sont. Avouons-le, l'idée est belle. Autant que cette fleur, d'un rouge vif qui vous attrape la rétine. Alice (Emily Beecham), une des scientifiques chargés du projet, veut faire profiter son fils (Kit Connor) de sa création. Mais elle constatera que la fleur va subtilement changer son comportement. Et si elle s'était trompée et avait créé une entité incontrôlable ?
Contrairement à des récits de contamination qui, à moment ou à un autre, sombre dans une forme d'hystérie provoquée par la panique, Little Joe est un film plutôt calme. Le résultat est pour le moins intrigant à contempler, avançant sur un rythme distendu. Trop calme ? Hausner opte pour une mise en scène très cadrée, rigide, où chaque plan est pensé dans les moindres détails. Rien ne dépasse et cette barrière qu'elle instaure n'aide pas à nous immerger dans la narration. Ces personnages, et en particulier celui de cette mère célibataire, ne nous intéressent jamais. Pas plus que leur monde aseptisé, où chaque objet est bien rangé à sa place, où aucune couleur ne dénote d'un ensemble terne. La légère étrangeté qui s'en dégage est totalement asphyxiée par la mise en scène trop assommante d'une Hausner à la limite de la parodie kubrickienne. Son ambiance pesante, posée avec ce premier plan tournoyant, n'est faite que d'affèteries auteurisantes et d'une bande-son énervante par sa répétition quasiment comique. La fausse complexité formelle de Little Joe est totalement déplacée étant donné le peu de choses que la réalisatrice a à raconter.
C'est, du moins, ce que son film laisse penser. L'exposition se transforme en un tunnel de scènes plates qui ne font bouillonner aucun enjeu. Les pistes lancées restent le plus souvent à l'état de simple esquisse et ne passionnent pas car elles ne prennent pas vie dans ces personnages dénués de vie. Quand le film laisse penser qu'il devient une sorte de réflexion sur la maternité, il n'en reste qu'à la superficie du problème, le traitant avec paresse dans des échanges avec une psy qui, elle aussi, ne sait pas trop pourquoi on l'a convoquée. À force d'aborder le genre (la science-fiction) en prenant trop de chemins sinueux auteurisants et théoriques, Jessica Hausner rend une copie dépouillée d'âme, où les plans d'une vraie beauté tournent dans le vide.
Camouflé sous sa fausse complexité filmique, le film avance en se pensant plus subtil qu'il ne s'avère l'être réellement. Il n'est, tristement, pas question de subtilité mais de faire du genre à tâtons, en assumant à demi-mot les composants spécifiques de celui-ci. Du cinéma poussiéreux qui néglige totalement son spectateur et se regarde avancer. Hausner n'a même pas cette cruauté savoureuse de Mise à mort du cerf sacré, ou la beauté humaine de The Lobster, deux films signés Yorgos Lanthimos qui s'inscrivent dans une veine formelle similaire. Quoi que l'on pense de son cinéma, le grec a au moins le mérite de provoquer des émotions vives. Là où Little Joe est d'un ennui mortel.
Little Joe de Jessica Hausner, présenté au Festival de Cannes, en salle prochainement. Ci-dessus un extrait du film.