CRITIQUE FILM – Avec "L’Ombre d’Emily", Paul Feig s’entoure de deux excellentes actrices qui nous manipulent dans une intrigue à tiroirs à laquelle on pardonne ses quelques longueurs. S’il prend la forme d’un thriller, le long-métrage confirme cependant que le cinéaste est l’un des maîtres américains de l’humour.
Les premières images de L’Ombre d’Emily laissaient penser que Paul Feig avait complètement changé de registre. Dans la bande-annonce, le spectateur découvrait Stephanie, interprétée par Anna Kendrick, qui se lance à la recherche d’Emily, son amie incarnée par Blake Lively, visiblement disparue sans laisser de traces.
Après avoir enchaîné Mes Meilleures amies, Les Flingueuses, Spy, et S.O.S Fantômes, le réalisateur américain semblait donc avoir abandonné le registre comique pour nous offrir un thriller dans la lignée de Gone Girl. La fourbe promotion du long-métrage volontairement avare en détails nous avait bien caché que le cinéaste n’avait en réalité pas délaissé son humour, ici particulièrement féroce avec ses personnages principaux.
Les Diaboliques version déjantée
Dès l’introduction, dans laquelle Stephanie révèle aux abonnés de son Vlog quelques détails sur son amie disparue, le ton absurde fait mouche. Tout au long du film, l’héroïne ne cessera d’ailleurs de griller les indices autour de l’enquête en les révélant en ligne à ses fans. Paul Feig fait d’emblée comprendre au spectateur qu’il ne cessera de s’amuser avec les apparences et la façade de ses personnages, à mille lieues de leur véritable nature.
Comme pour Les flingueuses et Spy, il détourne les codes d’un genre qu’il semble affectionner particulièrement. S’il ne cesse de les casser pour créer une rupture comique qui fonctionne la plupart du temps, le réalisateur sait également les prendre au sérieux pour ménager ses effets. Le générique très soigné évoquant Saul Bass (qui a collaboré à trois reprises avec Alfred Hitchcock), sème par exemple quelques indices sur le ton du film sans pour autant être trop explicite. La narration décousue évoque par ailleurs Gone Girl, faux modèle duquel le réalisateur s'écarte progressivement.
Le cinéaste crée par ailleurs un décalage exagéré entre ses deux héroïnes. Dans la villa immaculée et clinquante de Stephanie, sa copine maladroite et bien trop gentille ferait presque tâche. A travers leurs conversations anodines ou celles axées sur la famille et le sexe, points pivots du scénario, Paul Feig en fait des tonnes dans des séquences aussi réjouissantes qu’intrigantes. Malgré l’humour omniprésent, la part d’ombre des héroïnes les rend touchantes et le spectateur s’y attache, tout en sachant qu’il ne devrait probablement pas, au vu de l’attitude joueuse de Feig.
La naïveté de Stephanie et le cynisme absolu d’Emily sont en effet des armes que le réalisateur utilise pour mieux perdre son audience par la suite. Aidé par le jeu excessif d’Anna Kendrick, en très grande forme, et le regard un poil trop mystérieux de Blake Lively, qui semble se régaler avec ce rôle ambigu, Paul Feig signe une exposition très efficace, qui laisse présager une version déjantée des Diaboliques, référence ouvertement citée mais jamais moquée.
Un dernier acte jubilatoire
Ce sera bien le cas, même si L’Ombre d’Emily souffre d’un gros ventre mou une fois que l’enquête est lancée. Le long-métrage se perd en effet dans des situations parfois trop sérieuses, à l’image de la naissance d’une romance à l’eau de rose qui paraîtrait presque premier degré.
Contrairement à ce que laisse penser la bande-annonce, le spectateur ne doit par ailleurs pas espérer de révélations trop surprenantes dans L’Ombre d’Emily. Elles ne semblent en réalité pas intéresser Paul Feig plus que ça, beaucoup plus focalisé sur l’évolution de Stephanie. La visite de l’apprentie enquêtrice chez les proches d’Emily se révèle par exemple savoureuse pour sa crise de paranoïa. Ses échanges avec le flic chargé de l’affaire donnent par ailleurs le sentiment que ce dernier s’en contrefout, ce qui résulte là encore des échanges très malins.
Le film reprend alors du poil de la bête dans les trente dernières minutes, durant lesquelles les trahisons s’enchaînent à un rythme infernal. Le réalisateur se moque de l’utilisation abusive de twists débiles que l’on retrouve parfois dans le genre et laisse pour cela ses comédiens s’en donner à cœur joie, nous rappelant qu’il a bien dupé son public en lui faisant croire avec panache qu’il était un maître de suspense. L’illusion est bien présente, mais en aucun cas frustrante grâce au défouloir final.
Jamais prétentieux, toujours conscient de ses limites même s’il se perd parfois dans des détails inutiles, le réalisateur signe avec L’Ombre d’Emily une comédie noire, provocatrice et délicieusement subversive.
L’Ombre d’Emily de Paul Feig, en salle le 26 septembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.