La Lune de Jupiter - Notre avis

La Lune de Jupiter - Notre avis

Dans la lignée des « Fils de l'homme » d'Alfonso Cuaron, Kornél Mundruczó tente, avec « La Lune de Jupiter », d'anticiper l'issue de la crise migratoire qui frappe le vieux Continent. Et si cette catastrophe humanitaire était un signe en direction de l'Europe ?

Fort de son Prix de jury remporté il y a trois ans avec White God, le hongrois Kornél Mundruczó était revenu sur la croisette en mai dernier avec ce qui semblait être, à l'allure de son pitch curieux, son film somme. Reçu en catimini, sans aucun enthousiasme, La Lune de Jupiter n'est, certes, pas un chef d'œuvre, mais demeure un grand film foutraque sur la Hongrie de l'ère Orban (et plus largement, sur la situation chaotique de l'Europe et de notre monde). Porté par des états de grâce et des séquences spectaculaires, La Lune de Jupiter procède surtout à un mélange des genres aussi étrange que productif, où l'heure n'est ni à la solennité, ni à l'apitoiement, ni à l'ignorance de la crise migratoire, mais plutôt à l'incarnation d'une vision positive et spirituelle de cette crise qui n'en est peut-être pas une.

Melting pot

La Lune de Jupiter est un inclassable : film de super-héros, film fantastique ou mythologique, film à charge contre la société hongroise, et sans aucune doute un peu tout ça à la fois. Le scénario, aussi décousu et baroque que l’addition improbable des genres qu’il brasse, est chaotique : un jeune migrant syrien, du nom d’Aryan (Szombor Jeger), perd la trace de son père alors qu’ils tentent, avec de nombreux autres réfugiés, de passer la frontière hongroise.

Durant cette course, Aryan se fait tirer dessus par un policier. Son corps se met alors à l’éviter avant de retomber dans les fourrés. Le Docteur Gabor Stern (Merab Ninidze), un homme déchu et corrompu qui tente de rembourser une dette à la famille d’une personne décédée sur le billard (probablement suite à une opération qu’il a lui-même mené), découvre l’incroyable don de ce blessé mutique dans un des camps surpeuplé de réfugiés. Premier réflexe de ce quidam contemporain, montrer les talents d'Aryan, l’ériger en bête de foire et amasser l’argent.

Miracle à Budapest

Stern profite de la situation pour exploiter ce miracle en soutirant de grosses sommes d’argent à plusieurs personnes et promet à Aryan que cet argent servira à retrouver son père. Et si cette attitude démontre assez grossièrement toute la cupidité liée à l’exploitation de « l’incroyable talent » du réfugié par l’homme européen moyen, la personnalité aussi ambiguë de Stern provoque tour à tour la sympathie et le rejet. La Lune de Jupiter veut, par cette histoire franchement invraisemblable, montrer qu’une société qui ne voit la crise migratoire que comme une punition ou un fardeau, fait fausse route. Pour illustrer cette idée, Mundruczo se place à l'opposé de Michael Haneke, qui faisait lui aussi de la crise des migrants le cadre de son Happy End.

Pour démontrer l’indifférence des ultra-bourgeois de la famille Laurent dans son film, Haneke, plaçait les migrants de Calais au fond du cadre, flous ou inaudibles et participait, dans un délire beaucoup trop réflexif (la mise en scène comme miroir de la cruauté de notre monde) à un détournement de l’attention malsain. Le spectateur, forcé de s’apitoyer sur les sorts misérables de grands magnats du BTP, en venait à oublier la présence de ces silhouettes qui déambulent en arrière-plan. Mundruczó fait tout l’inverse ici. Pour pointer du doigt cette ignorance et cet aveuglement qu’Haneke exécute froidement, le cinéaste hongrois décide, très naïvement, de faire de la figure du réfugié une figure angélique et miraculeuse au centre d'un film, au contraire d’Happy End, complètement débridé.

Risquer le bis, trouver la grâce

La Lune de Jupiter tombe, malgré tout, dans quelques pièges assez caricaturaux. Quelques phrases, quelques scènes, peuvent paraître ampoulées voire gratuites, et Mundruczó aurait sans aucun doute gagné à écrémer quelque peu un récit un peu trop dégoulinant. Mais frôler avec la frontière du mauvais goût, manquer de peu de paraître ridicule ou cheap, et le faire quand même, n'est-ce pas tout le sel et toute la saveur de ces films en forme de kamoulox géant ? Sans ces maladresses, ces instants gênants et parfois limite, le charme n'est plus le même. À force de se plaindre de films trop programmatiques et calculateurs, autant se réjouir de voir, enfin, un film en roue libre !

Le film faisait, par ailleurs, office d'exception dans la Compétition Cannoise cette année. Si Okja de Bong Joon-Ho était l’autre grand film fantastique de la sélection (même si son récit était beaucoup plus tenu), La Lune de Jupiter était bel et bien le seul film cette année à Cannes à oser autant formellement. Filmage acrobatique au drone, courses poursuites interminables, trucages ingénieux, instants de lévitation où personne ne touche plus sol, courte focale poisseuse dans les appartements poussiéreux de Budapest : Mundruczó ose sans complexe une forme virtuose, baroque et débordante.

Spiritualité naïve

Ce mouvement permanent distillé à la fois par le récit rocambolesque et la mise en scène emphatique, en contraste avec la suspension d’Aryan, touché par une grâce qui le fait léviter, retransmet une opposition aussi simpliste que claire et efficace. L’horizontalité chaotique des réseaux, des frontières et des lois, laisse, petit à petit, de plus en plus de place à cette verticalité spirituelle, quasi-extatique. Tout fait sens : l'idée de La Lune de Jupiter, assez casse-gueule, trouve son équilibre dans les airs, invitant le monde à faire de même.

Si ce contraste illustré est assez innocent et l’intention à son origine tout aussi naïve, Mundruczó prend plaisir à filmer et le montre sans détour. Il fait des erreurs, trébuche parfois, s'égare de temps à autre, mais se relève toujours, investi d’une volonté sans faille de réaliser un cinéma généreux, pêchu et sans complexe, et animé par l’envie de nous faire lever les yeux pour admirer la magie qui s’opère grâce à la salle de cinéma. Celle où, et ce sera sans doute la seule fois dans une vie, l’on se surprend à regarder la figure d'un migrant en levant les yeux, la tête vers le haut.

 

La Lune de Jupiter de Kornél Mundruczó, en salle le mercredi 22 novembre 2017 (notre entretien avec le réalisateur est à lire ici). Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

« La Lune de Jupiter » est un film généreux, hybride et délirant, qui n’a pas peur de flirter avec le bis. Le résultat, même si lacunaire, est mené tambour battant par une énergie folle, toujours réjouissante.

BILAN TRÈS POSITIF

Note spectateur : Sois le premier