CRITIQUE / AVIS FILM - Après « Climax », Gaspar Noé signe un nouveau huis clos où le malaise ne cesse de grimper. Avec « Lux Aeterna », le cinéaste plonge Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg dans le chaos du tournage d’un film de sorcières, et entraîne les spectateurs dans un nouveau cauchemar.
L'envers du décor selon Gaspar Noé
Un tournage peut parfois virer au cauchemar et nombreux sont les artistes qui se sont cassés les dents lors de la préparation d’un film. Terry Gilliam est sans conteste l’un des maîtres en la matière, comme le prouve Lost in La Mancha, documentaire sur la création calamiteuse de l’inachevé L’Homme qui tua Don Quichotte. Francis Ford Coppola a quant à lui menacé de se suicider à plusieurs reprises lorsqu’il réalisait Apocalypse Now. Poussé à bout, Werner Herzog a de son côté fomenté un projet d’assassinat de l’acteur Klaus Kinski sur le tournage d’Aguirre, la colère de Dieu. Le cinéaste avait d’ailleurs consacré un documentaire à sa relation oscillant entre haine et amour avec le comédien, intitulé Ennemis intimes.
Des anecdotes légendaires qui donnent envie aux passionnés du septième art de passer derrière le rideau pour découvrir l’envers d’un décor pas si rose. C’est en tout cas ce que laissent entendre Federico Fellini dans Huit et demi, David Lynch dans Inland Empire et désormais Gaspar Noé dans Lux Æterna. Le moyen-métrage s’ouvre sur une conversation géniale et improvisée entre Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg, qui jouent leur propre rôle. À quelques minutes du lancement des répétitions d’un film sur des sorcières réalisé par la première et porté par la seconde, la cinéaste et sa comédienne évoquent leurs précédentes expériences, et les comportements grossiers ou bienveillants de collaborateurs qu’elles ne prendront pas la peine de citer. Alors qu’elles se remémorent avec humour certains projets, elles ne se doutent pas que celui qu’elles préparent est sur le point de vriller.
Un goût d'inachevé
En moins d’une heure, Gaspar Noé déploie une virtuosité technique dans un lieu clos dans Lux Æterna. Split screen, mouvements de caméra qui investissent parfaitement un espace réduit comme c’était le cas dans Climax, conclusion n’hésitant pas à étirer un effet stroboscopique aveuglant… Le cinéaste et le chef opérateur Benoît Debie parviennent une nouvelle fois à créer une expérience sensorielle au service d’un récit finalement plus limité que la forme du film.
Préparé en urgence et tourné en cinq jours afin de pouvoir le présenter à temps au Festival de Cannes 2019, ce moyen-métrage réalisé pour la maison Saint Laurent aurait peut-être gagné à être plus long. Gaspar Noé pousse à son paroxysme le rôle de voyeur du spectateur, en l’emmenant découvrir ce qu’il se passe derrière la magie des images. Le réalisateur s’amuse ainsi à mettre en scène une guerre d’egos dans laquelle Béatrice Dalle est progressivement clouée au pilori par le producteur et des membres de son équipe, et où la tension monte pour des raisons absurdes.
Si le cinéaste a pris l’habitude de laisser le public lessivé à la fin de chacun de ses films, de Seul contre tous à Climax, il fait ici preuve d’une retenue assez surprenante. Gaspar Noé fait le choix d’arrêter le moyen-métrage au moment où la folie semble s'être totalement emparée de ses personnages. Une fois les sorcières désignées et envoyées au bûcher, la forme dépasse le fond. La conclusion abstraite retient le spectateur dans le chaos du tournage mais donne le sentiment que le réalisateur ne fait qu’effleurer un folklore immensément riche qui ne cesse d’inspirer le cinéma, de Jour de colère de Carl Theodor Dreyer qu’il cite ouvertement au récent The Witch, en passant par la trilogie des Trois Mères de Dario Argento.
Le cinéaste s’interroge davantage sur le processus de fabrication d’un film en reprenant les préceptes de certains de ses modèles comme Jean-Luc Godard et Rainer Werner Fassbinder, ainsi que sur la manière dont une expérience humaine peut vaciller sans véritable motif. Lux Æterna demeure quoi qu’il en soit un projet fascinant, dans lequel Gaspar Noé étrille avec un humour féroce l’opportunisme et l’égocentrisme de ceux qui participent à un art qu’il semble chérir plus que tout le reste.
Lux Æterna de Gaspar Noé, en salle le 23 septembre 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.