CRITIQUE / AVIS FILM - "Ma nuit", première réalisation d'Antoinette Boulat, suit les pas de Lou Lampros et Tom Mercier le temps d'une nuit à Paris, pour peindre le portrait délicat d'une jeunesse qui a perdu son innocence.
Ma nuit, deux jeunes comédiens dans une nuit douce-amère
Ma nuit est le premier film d'Antoinette Boulat, par ailleurs directrice de casting émérite du cinéma français. Sa première réalisation fait donc la part belle à ses comédiens, les talentueux Lou Lampros et Tom Mercier. Lou Lampros s'est récemment illustrée dans Médecin de nuit et De son vivant, et Tom Mercier dans le film Synonymes de Nadav Lapid. Deux étoiles montantes du cinéma qui jouent dans Ma nuit deux êtres touchés par la solitude, et dont les trajectoires vont se croiser.
Marion (Lou Lampros) a 18 ans, vit à Paris et ne s'exprime pas beaucoup. Cinq ans auparavant, elle a perdu sa soeur, décédée dans des circonstances qui ne sont pas données mais dont on devine le caractère accidentel et brutal. Un sujet de tension avec sa mère, incarnée par Emmanuelle Bercot, et dont la seule évocation va conduire à Marion à s'échapper dans la ville, le temps d'un après-midi et d'une nuit. Au coeur de celle-ci, elle rencontre Alex (Tom Mercier), de quelques années son aîné. Il semble aussi solitaire qu'elle, mais est épris de liberté et déterminé à embrasser l'avenir, quelqu'il soit.
Portrait délicat et imparfait d'une jeunesse complexe
Quelle est l'histoire de cette nuit que Marion et Alex traversent ensemble ? Ma nuit n'est pas une comédie romantique, ni la chronique d'une aventure nocturne parisienne. Il est plutôt la tentative d'un portrait d'une jeune femme brisée par la perspective d'un avenir inconnu, et qu'on ressent hostile. Ce portrait, il a quelque chose de celui que dresse Ma nuit chez Maud, le grand film d'Éric Rohmer, où un homme et une femme vont parler d'amour plutôt que le faire. Ma nuit s'inscrit aussi, en partie, dans un cinéma du discours amoureux, mais en laissant ce discours silencieux, le laissant sur le bout de la langue de ces jeunes gens, qui ne se le disent pas.
Les amies de Marion, camarades d'une forme de doux désoeuvrement, ont pourtant des tentations d'ivresse amoureuse, des joies et des tristesses qui y sont liées. Mais Marion ne ressent pas cette ivresse, et Tom encore moins. Quelque chose d'autre se joue, comme si avant de pouvoir aimer, ces deux personnages devaient chacun trouver leur paix. Laquelle ? Par quels moyens ? Le film reste muet sur ce point, tout en faisant exister le fantôme des attentats du 13 novembre, symbole collectif de l'innocence perdue.
La photographie et la mise en scène de Ma nuit servent ainsi ce sujet d'une quête à l'objet indéterminé. Dans les rues parfois inquiétantes du nord de Paris, sur les quais de Seine déserts du luxueux centre, Marion et Alex marchent sans vraiment de but, goûtant une solitude à deux et échangeant sur de nombreux sujets. Il y a souvent de jolis plans, et un en particulier dont la composition donne peut-être une idée du sentiment "délié" que les personnages recherchent, loin de la frénésie et de la proximité factice de la soirée de laquelle ils s'échappent.
Ma nuit, un film à une seule mesure
Se débarrasser de quelque chose, trouver un répit, un repos, conclure un deuil... Marion et Alex, dans leur marche et leur échange, cherchent une clé. Une clé qui leur ouvrira un autre monde, apaisé, moins mélancolique. Mais il faut le déduire, puisque le film ne fait que suivre son actrice principale, dans son silence et ses quelques mots, puis son acteur principal, moins silencieux et peut-être même trop bavard. Tout le cinéma de Ma nuit repose ainsi sur ses personnages, qui lui donnent seuls son rythme et son ambiance. Un pari risqué, à considérer que tout le public ne sera pas également touché par leur talent.
"Ça y est, je suis arrivée au bout de ma nuit." Ces mots de fin prononcés par Marion indiquent que son deuil s'est allégé, il ne sera jamais sans doute fini, mais pour la première fois de Ma nuit, la légèreté prend le pas. Portrait dont l'imprécision a du charme, Ma nuit ne réussit pas tout, subjugué et parfois égaré par ses comédiens, pas toujours à leur bonne distance, mais il offre néanmoins une agréable mélancolie et propose un regard intéressant sur la jeunesse contemporaine.
Ma nuit d'Antoinette Boulat, en salles le 9 mars 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.