CRITIQUE / AVIS FILM - Nouveau film de Soi Cheang après l'excellent "Limbo", "Mad Fate" voit un médium et un livreur mentalement instable tenter de déjouer le destin tandis qu'un tueur rode dans la ville.
Soi Cheang confirme après Limbo
Avec Soi Cheang, les amateurs de cinéma hongkongais (mais pas que) ont de quoi se réjouir. Alors qu'une bonne partie de sa filmographie reste inédite en France (ou uniquement en DVD), et malgré des gros succès en Chine (la trilogie Le Roi singe), ce n'est que récemment qu'on a commencé se passionner pour le réalisateur. Plus précisément avec Limbo (2021), un grand polar étouffant et poisseux en noir et blanc. Ensuite, c'est son film d'action moderne et nostalgique City of Darkness qui nous a mis une claque au 77e Festival de Cannes (Hors Compétition). Et alors que celui-ci sortira dans les salles françaises le 14 août, il y a déjà de quoi se faire plaisir avec sa précédente réalisation, Mad Fate (tourné 2 ans après Limbo), en salles depuis le 17 juillet.
Mad Fate : un polar hongkongais qui vire en folie
Soi Cheang est un auteur prolifique. Et le voir enchaîner ses films avec une telle aisance sans se répéter ni décevoir est remarquable. Le cinéaste poursuit son exploration d'Hong Kong, mais déjoue cette fois nos attentes en faisant basculer son film de tueur en série dans une sorte de buddy movie mené par deux fous. Dans Mad Fate, c'est le destin qui réuni deux personnalités atypiques. Alors qu'un homme est en train d'assassiner une prostituée, un livreur mentalement instable (Lokman Yeung) sonne à la porte de la victime, laissant le tueur dans l'embarras.
Déboule ensuite un maître de feng shui (Lam Ka-tung), persuadé que la prostituée court un risque et qu'il doit la sauver. Tous les deux arrivent trop tard et ne peuvent empêcher la fuite du tueur. Sauf que leur rencontre sera déterminante. Le maître souhaitant changer le destin du jeune livreur, dont les pulsions violentes le mèneront inévitablement en prison.
Un habile mélange de genres
Peut-on vraiment aller à l'encontre de son destin ? Soi Cheang s'en interroge le temps d'une virée sombre et désespérante, et en suivant ces deux fous, dont on ne sait lequel des deux est le plus dérangé. Si le maître est d'une empathie extrême et est lui-même victime d'un trauma passé, le livreur est en constante dualité avec ses pulsions. En réunissant ces deux types de personnages si différents, le réalisateur provoque parfois une forme d'amusement (un burlesque assumé), et se montre bien habile pour créer une tension face à l'horreur. On trouve en effet dans Mad Fate des codes du genre horrifique, avec des séquences sanglantes effrayantes, et un aspect plus social obtenu par ces deux inadaptés perdus dans ce monde.
Une manière pour Soi Cheang d'établir encore et toujours un portrait d'Hong Kong assez tragique. Sans insister autant sur la ville comme c'était le cas avec Limbo, le réalisateur privilégie ici une représentation hallucinatoire des lieux. Le cinéaste assume également l'aspect surnaturel sans sombrer dans le grotesque. Au contraire, il s'en sert avec intelligence, en tire un outil puissant pour rendre ce monde toujours plus détraqué, ce qui fera même perdre pied au détective rationnel qui mène l'enquête. Ainsi, loin de ressembler aux polars habituels du genre (comme en rendant le tueur très secondaire), Soi Cheang surprend par son audace et continue de redynamiser le cinéma hongkongais.
Mad Fate de Soi Cheang, en salles le 17 juillet 2024. Ci-dessus la bande-annonce.