CRITIQUE / AVIS FILM - Disponible sur Netflix, "Madame Claude" est un portrait très réussi et sans concession de la mère maquerelle de la Vème République, avec Karole Rocher, Garance Marillier et Roschdy Zem.
Une revanche sur la vie et les hommes
Plusieurs réalisateurs se sont déjà frottés à la réputation sulfureuse de Madame Claude, célèbre mère maquerelle des années 70. Mais la référence reste le film de Just Jaeckin, tourné en 1977 avec Françoise Fabian. Les autres lorgnant plutôt du côté du porno soft assumé. Tout autant entourée de mystères que détentrice de secrets d’alcôve et d’état, la vie de Madame Claude aiguise encore les fantasmes. Cette fois, c’est Sylvie Verheyde, au scénario et à la réalisation, qui offre un très beau rôle à Karole Rocher, parfaite.
Ce qui est très réussi dans Madame Claude, c’est son esthétisme et sa capacité à retranscrire le décorum d’une époque. Le film, initialement prévu pour les salles de cinéma et qui trouve une échappatoire sur Netflix, traverse avec élégance les cinquante dernières années de la vie de cette femme ambivalente. Mais il aborde surtout le début de sa chute et ses difficultés à prendre le pouls des changements d'état d'esprit et de mœurs. Lorsque le film commence, Madame Claude n’est plus Fernande Grudet depuis longtemps. Même si son ancien souteneur, le gangster Jo Attia (Roschdy Zem), s’obstine à continuer à l’appeler ainsi. Devenus amis, ils s’épaulent en toutes circonstances. Mais il a encore le pouvoir de lui signifier qu’elle ne doit jamais oublier d’où elle vient et à qui elle le doit.
Car c’est bien de pouvoir dont il s’agit dans Madame Claude, et c’est fascinant. D’abord le pouvoir patriarcal au sein de la Ve République, que Claude a décidé de "prendre en baisant les hommes de l’intérieur". Elle règne en effet d’une main de fer sur son réseau de 200 call-girls qu’elle recrute, teste, forme, éduque et manipule. Elle assoit aussi son pouvoir sur les Renseignements Généraux, par un échange de bons précédés. En confiance avec Georges (Benjamin Biolay), beaucoup moins avec Serge (Pierre Deladonchamps ).
La nécessité de mettre ses émotions à distance
Le film montre très bien le jeu dangereux auquel s’adonne Madame Claude avec les services secrets, les laissant utiliser « ses filles » dans des coups d’état, en Centrafrique ou au Tchad. La réalisatrice ne rentre pas trop dans les détails, préférant partager avec le spectateur la perception lointaine de la patronne de ce qui s'y passe. Claude est même soupçonnée d’être mêlée, en raison de la présence dans son entourage du gangster corse Marcantoni (Cédric Appietto), à l'assassinat de Stevan Marković, employé par Alain Delon. Une affaire devenue l'un des plus gros scandales d’état avec la tentative d'implication de l’ancien Premier ministre Georges Pompidou, par la diffusion de photographies truquées de son épouse dans une orgie parisienne.
Sylvie Verheyde décrit aussi parfaitement les failles de cette femme, dès qu'elle laisse entrer dans sa vie deux personnes à qui elle donne sa confiance. André (Paul Hamy), dont elle tombe amoureuse et Sidonie (Garance Marillier), jeune femme de la haute société, qui devient son bras droit et sa fille de substitution. Et la réalisatrice fait intervenir à bon escient la voix off de Claude lorsqu’il s’agit d’évoquer sa vie privée, sa jeunesse ou ses doutes.
Cependant, le respect mutuel entre les deux femmes n'est pas vraiment convaincant. Car le personnage de Sidonie est trop ambigu et peu attachant. On ne sait jamais si elle éprouve de l’admiration et de l’amour envers Claude. Ou si, jalouse de ce que Claude a accompli, elle se comporte comme le coucou qui pique le nid déjà construit par les autres oiseaux. On peut d’ailleurs s’interroger, comme pour tous les biopics de la part de fiction et celle de réalité. Mais après tout, qu’importe, car la présence des personnages secondaires donne de la chair au film et permet de mieux cerner le caractère de l’héroïne.
La réalisatrice a également fait le choix subtil d’agencer en miroir les scènes entre la femme d’affaires et la femme, ou entre elle et ses "filles", comme pour en renforcer la dichotomie. On voit ainsi la réussite de Claude et l'échec de Fernande à être une mère envers sa fille. Ou Claude en plein ébat amoureux avec André, pendant que Sidonie travaille auprès d'un client. Ou encore Sidonie, oiseau de nuit chez Castel et Claude, couchée tôt et seule dans son lit.
L'amour et les affaires ne font pas bon ménage
Mais ce parallèle devient glaçant lorsque, d'un côté, Claude dédramatise auprès de l’une des call-girls (Annabelle Belmondo , petite fille de Jean-Paul Belmondo, dans son premier rôle) le fait qu’elle ait été battue par des clients pour une très grosse somme d’argent. Et de l'autre, badine avec une autre (Joséphine de la Baume) qui lui annonce qu’elle va bientôt se marier. Car ce sont ces moments qui rappellent le regard porté par la réalisatrice sur son sujet : sans admiration ni concession, ni à charge, ni à décharge.
Sylvie Verheyde n’hésite pas à montrer le côté obscur et les chantages et violences faites aux femmes, encouragés par celle qui défend son territoire bec et ongles. Tout comme elle donne aussi à voir la prostitution comme une fête et une grande famille, telle que Claude se l’est créée. Le film rappelle d'ailleurs par certains côtés Belle de jour et L’Apollonide: Souvenirs de la Maison Close.
Grâce à son rythme proche du thriller et une musique épatante, Madame Claude se révèle un film à la hauteur de ses ambitions. La réalisatrice met en scène avec brio une femme qui s’est crue intouchable, en a voulu toujours plus. Une femme qui n’a pas su s’arrêter à temps, allant même jusqu’à reconstituer un autre réseau de 20 call-girls après son exil américain. Une femme avide, qui a utilisé son activité comme une revanche sur sa vie de petite fille pauvre. Mais une femme qui a fini seule et dont le regard a été, jusqu’au bout, très acéré sur la beauté des jeunes femmes et le pouvoir qu’elles pouvaient en obtenir.
Madame Claude de Sylvie Verheyde, disponible sur Netflix le 2 avril 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.