CRITIQUE / AVIS FILM - "Made In China" dénonce les clichés dont sont victimes les Asiatiques mais le fait d’être issu d’une communauté et d’avoir la légitimité de s’en moquer ne suffit pas pour rendre inoubliable cette comédie avec Frédéric Chau, Medi Sadoun.
Frédéric Chau, qui interprète François, le rôle principal de Made In China dont il est à l’origine, en avait assez que les Français se moquent constamment des Asiatiques et ne les considèrent pas autant Français qu’eux. Il avait d’ailleurs participé en 2017, au même titre qu’un autre comédien du film, Steve Tran, au clip Asiatiques de France dénonçant les préjugés dont est victime cette communauté en France. Dans Made In France, Il semble donc que Frédéric Chau, qui a co-écrit le scénario aux côtés de Kamel Gemla et du réalisateur Julien Abraham, ait listé tous les clichés et leurs variantes possibles à propos des Asiatiques en rapport avec leur accent, leur apparence, leur nourriture, leur rapport au travail, leur religion ou leurs relations. Le tout, dans le but de confronter avec un certain humour la communauté asiatique à autrui.
Made In France reprend donc les ressorts habituels d’une comédie avec une intrigue assez mince et un postulat de base ultra classique d’une jeune femme qui tombe enceinte. Le couple mixte et la naissance à venir n’ont ici d’autre intérêt que de permettre à François de renouer avec sa culture et non de la remettre en question. Ce n’est évidemment pas la gentille Sophie (Julie de Bona), son amoureuse bretonne, ni sa maman (Clémentine Célarié) qui se moquent, mais son entourage.
Si une amie de Sophie le prend pour un livreur de sushi, c’est surtout le meilleur ami de François, Bruno (Medi Sadoun), qui pose naïvement tout haut les questions que tout le monde pense tout bas. Il cristallise bizarrement toutes les colères et fait parfois l’objet d’insultes, car il tape l’incruste partout où il va. Les scénaristes ont pensé que par l’intermédiaire de Bruno, le spectateur pourrait ainsi mieux faire connaissance avec la culture asiatique et ne plus commettre d'impairs ou ne plus blesser personne. Le procédé qui joue sur l'aspect didactique est certes intéressant mais le souci, c’est qu’on en a vite fait le tour et que les blagues, pas toujours drôles, sont redondantes.
Pour savoir où l'on va, on doit savoir d'où l'on vient
Mis à part Meng (Bing Yin), le personnage du père de François, montré comme un type orgueilleux d’une autre génération, ou celui de Clémentine Célarié, dont le rôle est proche de sa personnalité extravagante, les autres personnages manquent pourtant d’aspérités et auraient mérité d’être plus nuancés. Ainsi, le personnage de François est trop gentil et s’il a beaucoup œuvré pour s’intégrer du point de vue des Français, il n’a jamais été jusqu’à renier ses origines, seulement à les mettre de côté dix ans à cause d'une brouille avec son père. Et on ne comprend finalement pas pourquoi il n’a pas gardé de liens avec les autres membres de sa famille, et notamment son petit frère.
Pourtant, les auteurs offrent une jolie métaphore de ce regret inconscient de ne pas avoir osé affronter son père, en faisant se manifester la souffrance de cette rupture dans son inspiration de photographe par le biais des modèles qu'il montre toujours de dos et jamais de face. On regrette également que le personnage du cousin Félix (Steve Tran), business man qui hésite parfois à monter sa réussite, ne soit pas assez creusé. Quant aux femmes asiatiques, telle la grand Ma Bin (Xing Xing Chen), la tante Fa (Li Heling) ou l’amie Lisa (Mylène Jampanoï), elles sont toutes un peu trop bienveillantes.
Si les auteurs ont voulu déconstruire les clichés, on se demande alors pourquoi ils ont conservé le paradoxe qui précise dans le pitch de Made In China que François est un jeune trentenaire d’origine asiatique ? Car si la communauté asiatique est multiple et solidaire, vivant regroupée dans le XIIIème arrondissement, fameux quartier chinois parisien de Paris, les auteurs auraient précisément pu saisir l’opportunité de permettre au public - que l’on peut supposer jeune - de distinguer les origines chinoises ou vietnamiennes, puisqu’il est vaguement question à un moment, de la fuite de Saïgon et d’un exil en France ?
Même si l'on passe néanmoins un bon moment devant Made In China, il n'en reste hélas, pas grand chose à la sortie. Car il est regrettable que le film soit tombé dans le travers du trop politiquement correct et volontairement consensuel. L’impression amère que les auteurs ont manqué d’audace, se sont autocensurés et sont finalement passés à côté de leur sujet. Il y avait pourtant matière à s’aventurer, comme dans le clip, vers un côté plus historique et politique, en évoquant les colonies ou les combattants aux côtés des Français. Il y avait de quoi bousculer davantage les lieux communs, comme ont pu le faire les auteurs de Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ?, souvent accusés de ne pas être suffisamment légitimes pour aborder ces sujets délicats.
Made In China de Julien Abrahams, en salle le 26 juin 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.