Maigret : la juste mesure d'une grande adaptation

Maigret : la juste mesure d'une grande adaptation

CRITIQUE / AVIS FILM : Quasiment 60 ans après "Maigret voit rouge" avec Jean Gabin, le légendaire commissaire retrouve une incarnation au cinéma avec Gérard Depardieu, dirigé par Patrice Leconte dans "Maigret". Un film captivant par sa bonne mesure, et qui réussit parfaitement ses intentions.

Maigret, la légende est de retour

Comment raconter le commissaire Maigret au cinéma ? Comment le raconter tout court d'ailleurs ? Avec le corpus littéraire monumental de Georges Simenon, avec ses maintenant quinze films et ses nombreuses séries télévisées, peu de personnages de fiction ont une telle renommée et fait l'objet de tant d'adaptations. On se disait ainsi qu'il y avait un certain risque à se lancer dans une nouvelle adaptation cinématographique, qui s'offrirait forcément à de sérieuses comparaisons.

Maigret
Maigret ©SND

Mais pour mettre en scène le roman "Maigret et la jeune morte", adapté une précédente fois en 1973 dans la série française avec Jean Richard, Patrice Leconte et son scénariste Jérôme Tonnerre ont choisi la simplicité, l'application et la concision, sans apparent souci de chercher la performance. Et c'est ainsi, presque paradoxalement, qu'ils réussissent avec Maigret un film qui frôle la perfection.

Maigret enquête sur la mort d’une jeune fille. Rien ne permet de l’identifier, personne ne semble l’avoir connue, ni se souvenir d’elle. Il rencontre une délinquante, qui ressemble étrangement à la victime, et réveille en lui le souvenir d’une autre disparition, plus ancienne et plus intime…

Patrice Leconte en maîtrise

Pour réaliser Maigret, un projet qu'il porte depuis longtemps, Patrice Leconte aura attendu, et presque disparu depuis Une heure de tranquillité en 2014 - si l'on met de côté sa participation au film collectif Salauds de pauvres en 2019. Mais sur celui qui a réalisé son premier long-métrage en 1976 avec Les vécés étaient fermés de l'intérieur, le temps ne semble avoir que de peu de prise, et son Maigret est la manifestation qu'il n'a rien perdu de son talent. L'équation est simple : une histoire policière intrigante, un grand comédien, une caméra qui le suit avec précision et discrétion.

Maigret
Maigret ©SND

Maigret a un format sobre, élégant. On est loin de la frénésie de la saga des Bronzés, comme des délicieuses subtilités de Ridicule, mais il en a la même force. Il y a une évidence dans Maigret, qui vient de sa parfaite mesure et de sa direction très claire. Maigret n'est pas l'ouverture d'une série de films, n'est pas non plus une composition de références en hommage aux adaptations passées. Il est conçu entièrement pour lui-même, comme s'il devait être le premier et le dernier, le seul film "Maigret".

Relativement court, avec une durée de 1h28, Maigret vise l'essentiel, sans jamais s'offrir d'aparté formel pour ravir le sens esthétique, ni de digression dans son discours pour se donner un fond contemporain. La musique de Bruno Coulais et Michael Nyman, le cadre, la photographie, le scénario, tout concourt à la définition seule du commissaire, dans cette seule histoire.

Gérard Depardieu en majesté

À la question "Gérard Depardieu peut-il incarner le commissaire Maigret ?", la réponse était a priori "oui", et a posteriori ce "oui" est une pure évidence. Avec son chapeau, sa pipe qu'il garde en main mais ne fume plus - recommandation de son médecin (Hervé Pierre) -, avec son long manteau, l'acteur incarne le légendaire commissaire avec un naturel fascinant. Il ne parle pas beaucoup, ne s'emporte jamais, réfléchit en silence. Comme il le dit, il ne juge pas, mais il cherche simplement à comprendre. Gérard Depardieu est idéal dans le rôle, comme si on l'y avait déjà vu mille fois.

Magie de la direction de Patrice Leconte et de l'interprétation de Gérard Depardieu, la personnalité et l'histoire intime du commissaire se révèlent à mi-mots, dans des regards et des silences, notamment lors d'une très belle séquence avec André Wilms. Dans ce moment, et un autre partagé avec son épouse (Anne Loiret), on devine la sombre décennie passée - l'intrigue se déroule dans les années 50 - et ses souffrances partagées.

Maigret
Maigret ©SND

Par ailleurs, les actrices Jade Lebeste, Mélanie Bernier, Clara Antoons et Aurore Clément jouent parfaitement les victimes et les criminelles de cette intrigue policière. Elles parviennent ainsi à exister dans ce système, où tout orbite autour de l'astre Maigret. Ce qui n'était pas garanti avec un tel personnage et un tel comédien.

À l'heure où on cherche à tout prix le "nécessaire" dans le cinéma, où des productions s'expliquent dans une scène post-générique, à l'heure où encore on veut se montrer plus intelligents que les autres en proposant des oeuvres "méta", Maigret fait le pari d'être direct, léger, élégant dans sa simplicité. Surtout, il est magnifiquement naïf dans sa volonté de faire vibrer son spectateur avec des émotions simples. L'air de rien, en donnant une impression de facilité déconcertante, Patrice Leconte livre en effet un film génial, qui ne cherche pas à être complexe ou sophistiqué. Chapeau bas, commissaire.

Maigret de Patrice Leconte, le 23 février 2022 dans les salles. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Prenez un des réalisateurs les plus doués du cinéma français et son plus grand comédien, et donnez leur le légendaire commissaire de fiction. La simplicité de "Maigret" est une très grande force, et donne au film une sensation d'évidence finalement rare. Patrice Leconte et Gérard Depardieu, pour leur toute première collaboration, signent ainsi un "Maigret" de très haut niveau, à voir sans hésiter.

Note spectateur : 1.5 (2 notes)