CRITIQUE/AVIS FILM - Avec un excellent casting composé notamment de Jonathan Cohen et Souheila Yacoub, Cédric Kahn raconte dans "Making of" le tournage chaotique d'un film et les personnes qui le font. Une délicieuse mise en abyme et une comédie très réussie.
Cédric Kahn dissèque le cinéma
Presque dans la foulée de son brillant Le Procès Goldman, l'autre grand film de procès de l'année 2023 avec Anatomie d'une chute, Cédric Kahn est déjà de retour avec Making of, présenté hors compétition à la 80e Mostra de Venise. Ce nouveau film est presque une première pour le réalisateur de Roberto Succo et La Prière, plutôt versé dans le film noir et les drames avec des personnages ambigus. En effet, Making of est avant tout une comédie, ce qui en fait seulement son deuxième film du genre après la comédie dramatique Fête de famille en 2019.
Un cadre de comédie donc, avec la star de ce registre Jonathan Cohen et l'acteur caméléon Denis Podalydès, mais qui va bien au-delà des simples mécanismes comiques pour raconter la fabrication d'un film, de son financement compliqué aux changements de scénario en passant par les les jalousies du casting, équilibrant son récit avec autant de joies que de peines.
Une brillante écriture de personnages
Faire un film dans un film est un exercice qui permet aux cinéastes d'offrir leurs conceptions, leurs idées et leurs avis sur ce qui fait un film. Pour Cédric Kahn, ce sont les gens qui l'intéressent, et il réussit avec Making of une approche sociologique intéressante du milieu en développant des personnages principaux très réussis. Au nombre de quatre, chacun a un développement soigné et des répliques qui sonnent toujours justes.
Il y a Simon (Denis Podalydès), le réalisateur en bout de course, blasé de son métier et perdu dans son couple. Alain (Jonathan Cohen), l'acteur principal et star du film, sympathique mais très narcissique. Il y a Nadia (Souheila Yacoub), jeune actrice prometteuse qui refuse que son rôle soit réduit par les caprices d'Alain. Et il y a Joseph (Stefan Crepon), un jeune figurant qui se retrouve du jour au lendemain bombardé réalisateur du making of du film, surtout parce que Simon a décidé d'emmerder les financiers du film.
Avec ces quatre personnages principaux, ainsi qu'Emmanuelle Bercot et Xavier Beauvois parfaits en directrice de production intègre et producteur magouilleur, Cédric Kahn met en scène une comédie aussi drôle que touchante. Le tournage du film dans le film se fait dans le chaos. Si dans la première partie ce chaos amène des malentendus et des situations comiques, une fois que les personnages savent à quoi s'en tenir, Cédric Kahn approfondit leurs personnalités pour établir quatre destins de cinéma.
Et leurs antagonismes vont finir par se résoudre, rendant compte de ce que tous les cinéastes répètent : "c'est un miracle de faire un film".
Une comédie douce-amère à l'équilibre idéal
Le film que réalise Simon est un film social sur la tentative de reprise d'une usine par ses employés. Sans beaucoup de budget, on est loin du faste fantasmé des grandes productions de cinéma, et l'avancée du tournage se fait dans la douleur. On rit, parce que Jonathan Cohen trouve le ton idéal pour incarner dans cette comédie complexe un homme qui n'est pas particulièrement drôle - tout en restant lui-même -.
Sa force comique est là, mais contrebalancée par la matière plus sombre apportée par Denis Podalydès. Loin de chez lui, fatigué physiquement et psychologiquement, en froid avec la mère de ses enfants, prêt à tout abandonner, l'acteur sociétaire de la Comédie-Française fait lui dans Making of la peinture d'une solitude touchante.
Une diva d'un côté, un réalisateur épuisé de l'autre. Cédric Kahn raconte à la perfection combien le monde du cinéma est un milieu difficile, laborieux, injuste, où l'on avance souvent à l'aveugle. Mais d'un autre côté encore, il montre une jeunesse déterminée, qui d'une part refuse de se faire marcher dessus - exceptionnelle Souheila Yacoub - et de l'autre qui croit encore sincèrement au cinéma et à ses émotions, via la passion dévorante du personnage interprété par Stefan Crepon.
Ces personnages se confrontent, s'aiment et se détestent, et les croisements comiques comme dramatiques de leurs trajectoires individuelles font de Making of une comédie haletante. En effet, sans jamais lâcher les différents fils, on passe des uns aux autres avec une fluidité et une agilité remarquables.
Une vertigineuse mise en abyme
Très bien écrit, Making of offre plusieurs miroirs et joue avec le principe de mise en abyme. Si Simon est tendu et épuisé, c'est parce qu'il voit les terribles similitudes entre l'histoire du film qu'il tourne, celle d'une violence économique faite à des ouvriers, et l'histoire de son propre tournage, où il est contraint à de mauvais traitements de son équipe et donc à un conflit social.
Simon est-il Cédric Kahn, fatigué après avoir débuté la réalisation en 1991 ? Sans doute un peu. Mais Cédric Kahn est aussi Joseph, ce jeune homme obsédé par le cinéma et prêt à tout - même aux erreurs - pour y arriver. Jonathan Cohen, star de la comédie et personnalité très populaire, cherche-t-il ici à montrer ses grandes qualités dans un autre registre, comme son personnage Alain ? Avec combien d'interlocuteurs problématiques Souheila Yacoub a-t-elle dû composer dans sa jeune carrière, à la manière de son personnage Nadia ?
Ainsi, presque l'air de rien, Cédric Kahn réussit avec Making of une radiographie brillante, sans aucun temps mort, drôle et intelligente du cinéma français, en se concentrant uniquement sur un tournage et ses aléas - son film débute le premier jour de tournage et s'arrête au dernier - et des personnages formidables incarnés par des comédiens de grand talent.
Making of de Cédric Kahn, en salles le 10 janvier 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.