CRITIQUE AVIS / FILM - Culotté, radical et boursouflé, "Mandy" est un pur film de genre hybride qui offre un magnifique récital à cet immense acteur qu'est Nicolas Cage.
Mandy, film "hors-norme"
Huit ans après son premier film (Beyond the Black Rainbow), le réalisateur canadien Panos Cosmatos revient sous les feux des projecteurs avec Mandy, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2018 - sélection qui arrive régulièrement à sortir quelques ovnis « génériquement » modifiés (on pense notamment à Blue Ruin et Green Room de Jeremy Saulnier).
Ambitieux, voire démesuré, tant au niveau de sa taille (2h tout de même), de son contenu que de sa forme, Mandy est un geste iconoclaste, certes boursouflé, mais très rare dans le cinéma de genre actuel, donc par conséquent précieux. Biberonné aux giallos (Bava, Argento, Questi, etc.) et au meilleur du cinéma d’horreur américain (Carpenter, Craven, Hooper, etc.), Cosmatos enclenche la « grosse artillerie » visuelle et narrative pour déclarer son amour au cinéma de genre et à son acteur Nicolas Cage.
Film hybride (thriller, fantastique, horreur, gore, animation, etc.), Mandy l’est certainement de par ces changements de tonalités et d’ambiances sonores et visuelles. Boursouflé, le film l’est aussi à vouloir tout "tripoter", "styliser", "iconiser", "symboliser" – personnages, décors, costumes, dialogues, mais aussi la matière même de l’image – dans un maniérisme un peu absolu, qui frôle parfois la "posture" formaliste (on est évidemment très loin du formalisme qui peut tourner à vide chez Nicholas W. Refn), mais qui se veut surtout comme moyen de dérégler la fiction traditionnelle et son réalisme mimétique pour l’entraîner vers l’univers du rêve, ou plutôt du cauchemar (perception difficile à atteindre au cinéma).
Car l’Amérique des années 1980 (qui est à peu près la même qu’aujourd’hui), d’apparence puritaine et conservatrice, relève d’un mysticisme et d’un occultisme pervers. Dans une première heure totalement hallucinée, où un gourou et sa secte de « monstres » (des rednecks consanguins et des bikers sadomasochistes) viennent kidnapper et torturer Mandy (Andrea Riseborough), la petite amie de Red Miller (Nicolas Cage) dans leur cabane au fond du bois, le film surprend et dérange en agressant autant les yeux que les oreilles.
Le réveil de Nicolas Cage
Mais heureusement, en Amérique, il y a toujours un héros, un « ange exterminateur » pour restaurer l’ordre, enfin surtout la justice, dans une « bonne vieille » vengeance racoleuse et triviale typiquement américaine (ode à l’individualisme) où le chassé devient chasseur et use d’un arsenal aussi machiavélique, voire pire que celui de ses détracteurs. Et dans cette mythologie du héros américain, Nicolas Cage tient une place particulière, tout en haut aux côtés de Tom Cruise, du fait de son caractère multiple et totalement imprévisible.
Acteur de génie – il a tourné avec de bons, voire très bons réalisateurs (les frères Coen, Francis Ford Coppola, Werner Herzog, David Lynch, Martin Scorsese, Barbet Schroeder, John Woo, Brian De Palma, Spike Jonze, Andrew Niccol, Oliver Stone…), Nicolas Cage a su pérenniser, avec sa radicalité qui le caractérise, son statut d’actionner des années 1990. Il est aujourd’hui capable de tourner entre trois, quatre, voire cinq films par an, souvent des direct-to-dvd totalement oubliables comme n’importe quel acteur de série B ou Z d’action, et ce dans le plus grand anonymat malgré ses nombreux fans. Mais fort de ce rythme intense, il arrive toujours à offrir, dans une décennie, un ou deux films marquants. Si Lord of War (2005) et Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans (2009) avaient été les bonnes surprises de la décennie précédente, Mandy a tout pour être l’heureux événement de cette dernière.
Il faut dire que Cosmatos lui offre un rôle à sa démesure. Ce personnage de survivant se révèle être, dans le deuil impossible de Mandy, un véritable « dévoreur de planète » (sa planète préférée est Galactus). Il y a un plaisir fou à le voir s’agiter et hurler, en slip, en armure de chevalier, la tête recouverte de sang et les yeux écarquillés (par la drogue ou l’adrénaline) avec une arbalète dans une main et une hache en fer forgée dans l’autre. Nicolas Cage s’amuse de cette iconographie fantasmagorique qui lui colle à la peau et que Cosmatos exploite avec brio, et non sans une certaine mélancolie.
Car à la sortie de ce cauchemar nébuleusement mystique, il ne reste finalement que son image à lui, celle d'une performance majuscule et réflexive d'un acteur qui, dans les miroirs et les regards caméras, cherche un reflet qu'il ne trouve plus, comme dépossédé de son âme par ce(s) film(s) et qui aurait finalement jailli au-delà de l'écran de cinéma pour s'offrir pleinement et directement à "nous". Une preuve d'amour à son public et à ses fans qui le lui rendent si bien.
Mandy de Panos Cosmatos, disponible le 5 février 2019 en VOD. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.