CRITIQUE / AVIS FILM - Près de quinze ans après la fin des "Soprano", les personnages emblématiques de la série culte de David Chase font leur retour dans "Many Saints of Newark". Un préquel qui préfère cependant se concentrer sur une autre légende du New Jersey, le gangster Dickie Moltisanti.
Many Saints of Newark : un pari risqué
Comment succéder à un programme considéré à juste titre comme l’une des meilleures séries de tous les temps, et plus globalement comme un chef-d’œuvre de la culture populaire ? Dès le départ, la filiation entre Les Soprano et Many Saints of Newark – Une histoire des Soprano ne joue pas en faveur du long-métrage. Au-delà du poids du nom, la question de la pertinence du format se pose.
L’une des caractéristiques des Soprano est d'étaler avec une cohérence parfaite son récit sur six saisons, d’ouvrir des pistes et de développer des intrigues sur plusieurs épisodes, quitte à les laisser en suspens pour y revenir bien plus tard. Cette écriture singulière contribue grandement à la richesse de la série. Elle crée un véritable lien avec le spectateur en faisant confiance à son attention et à son attachement aux personnages. Elle la rend novatrice et semble extrêmement difficile à reproduire, en particulier sur une durée de deux heures.
Many Saints of Newark débute en 1967. Soldat de la famille DiMeo, "Dickie" Moltisanti (Alessandro Nivola) fait grandir son influence sur le New Jersey. Plusieurs événements viennent cependant perturber ses activités. Le premier est le retour aux États-Unis de son père "Hollywood Dick" (Ray Liotta), accompagné de sa jeune épouse italienne Giuseppina (Michela De Rossi). Ne supportant plus les accès de violence de son paternel, Dickie a également bien du mal à cacher son attirance pour sa compagne. En parallèle, des affrontements entre les autorités et la communauté afro-américaine mettent la ville de Newark à feu et à sang à la suite d’une bavure policière. Des émeutes qui perturbent la relation entre Dickie et Harold McBrayer (Leslie Odom Jr.), qu’il emploie pour exécuter ses basses besognes.
Tel père, tel fils
Many Saints of Newark s’ouvre sur une scène qui replonge d’emblée le spectateur dans la fatalité des Soprano. Dans un cimetière terni par la grisaille, plusieurs voix résonnent. Elles se remémorent leur vie à mesure que la caméra avance entre les tombes, avant d’arriver à celle de Christopher Moltisanti. Le gangster incarné par Michael Imperioli revient brièvement sur son sort avant d’introduire l’histoire de son père Dickie, figure éminemment respectée et régulièrement évoquée dans la série, mais énigmatique.
Malgré leur côté anecdotique, en dehors de cette ouverture, les interventions de Christopher appuient le fait qu’il n’est que la copie carbone d’un père qu’il n’a que très peu connu. Plutôt que de jouer sur les apparitions de personnages emblématiques comme Paulie (Billy Magnussen), Silvio (John Magaro) ou Pussy (Samson Moeakiola), le film reste majoritairement focalisé sur Dickie.
Ce qui lui permet de trouver sa propre identité dans l’univers des Soprano, d’éviter de se noyer dans le fan service tout en faisant la jonction avec la série culte. Dickie fait les mêmes erreurs que son fils, ne résiste pas à ses instincts les plus primaires et est ensuite rongé par les remords, tiraillé entre la volonté de bien faire et la capacité à ôter une vie sans ciller.
Au cours d’un instant fugace mais particulièrement touchant, le criminel reprend ses esprits dans un parloir de prison, assis seul à une table. Un retour à la réalité pendant lequel l’excellent Alessandro Nivola rappelle les absences de Michael Imperioli, tout en apportant de l’épaisseur à son personnage. Cette liaison subtile (à l’inverse de certains dialogues appuyés), au même titre que d'autres éclats et moments de solitude de Dickie, amplifie la dimension tragique de la fresque créée par David Chase.
Préserver une part de mystère
Et Tony dans tout ça ? Discret, réservé et fasciné par son oncle Dickie, le futur caïd est suffisamment en retrait pour, là encore, donner la possibilité à Many Saints of Newark de s’écarter un tant soit peu de l’ombre de sa grande sœur et laisser la part de mystère que le protagoniste mérite. Interprété par William Ludwig durant l’enfance puis par Michael Gandolfini (fils du regretté James Gandolfini) à l’adolescence, il prouve surtout que son fils Anthony est lui aussi le portrait craché de son père.
Les scénaristes David Chase et Lawrence Konner parviennent à en faire un personnage essentiel mais secondaire. C'est également le cas de Junior (Corey Stoll), ainsi que de Johnny (Jon Bernthal) et Livia Soprano (Vera Farmiga). Les quelques séquences de ces derniers suffisent à résumer la complexité de leur relation, qu’il s’agisse de retrouvailles animées au cours d’un repas ou d’une sortie en voiture ponctuée par un imprévisible coup de feu.
Adoptant un rythme lent et privilégiant les moments de vie tout en témoignant de l’évolution d’une ville, le long-métrage manque malgré tout de plusieurs éléments majeurs pour convaincre totalement. Les thématiques politiques et sociétales qui représentaient une part fondamentale de la série sont ici simplement effleurées, constamment observées avec distance. Enfin, le réalisateur Alan Taylor ne réussit jamais à donner au spectateur la sensation d’arpenter Newark et le New Jersey. Des défauts qui empêchent Many Saints of Newark d’être indispensable au genre dans lequel il s’inscrit, en plus du fait qu’il ne s’adresse pas aux néophytes. Mais la proposition reste bien plus qu’honorable.
Many Saints of Newark d’Alan Taylor, en salle le 3 novembre 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.