CRITIQUE / AVIS FILM – Dans "Marché noir", trois hommes tentent de se débarrasser de plusieurs cadavres. Un point de départ redoutable pour ce thriller iranien signé Abbas Amini qui change de trajectoire par la suite, sans pour autant perdre en puissance.
Marché noir : trois personnages à l’abattoir
Dès ses premières minutes, Marché noir atteint une intensité qui, si elle ne disparaît jamais par la suite, retombe légèrement. Au cours de l’introduction magistrale, Abed (Hassan Pourshirazi), gardien d’un abattoir totalement désemparé, demande de l’aide à son fils Amir (Amirhossein Fathi). Face à la pression que lui met son patron Motevalli (Mani Haghighi, impressionnant), Abed cherche à se débarrasser des cadavres de trois hommes morts dans une chambre froide.
Le cadre sert ouvertement de métaphore à un pays en proie à une crise financière qui étouffe ses habitants. Une situation que le réalisateur Abbas Amini compare à un boucher. Un boucher à l’œuvre dans ce lieu éminemment symbolique. D'emblée, les rapports de force liés aux positions sociales des protagonistes viennent heurter le spectateur de plein fouet, au même titre que leurs peurs et leurs frustrations.
Instaurant une ambiance de thriller, cette ouverture parvient surtout à mettre en place les dilemmes moraux auxquels vont être confrontés les trois personnages tout au long du film. Ces derniers prennent de l'ampleur lorsque les deux enfants de l’une des victimes se lancent à la recherche de leur père. Ils mènent eux-mêmes leur enquête, en commençant par interroger Amir et Abed.
Les choix empoisonnés
Rapidement, Abbas Amini confirme que la cause des décès que les trois protagonistes tentent de faire disparaître n’est qu’un élément secondaire de l’intrigue. Elle sert avant tout à mettre en avant l’impunité de l’un d'eux, qui n’a aucun mal à vivre avec des morts sur la conscience et impose son autorité tout le reste du long-métrage.
Tandis que l’impitoyable patron Motevalli poursuit donc son existence dénuée de scrupules, Abed et Amir continuent de subir la pauvreté, tout en dissimulant un terrible secret sur leur lieu de vie. L’une des scènes les plus fortes du film est une dispute entre le père et le fils sur l’économie de l’Iran. Le deuxième tente alors de faire prendre conscience au premier qu’il est victime d’un système qu’il fustige et pense comprendre.
Amir devient très vite central dans le récit et fait le pont entre tous les autres personnages. Il se retrouve tiraillé entre son père et Motevalli, qui n’hésite pas à l’engager après lui avoir confié ses basses besognes. Les informations sur cet anti-héros sont dévoilées progressivement. Le spectateur apprend notamment qu’il a été expulsé de France où il a passé deux ans en prison, et que son retour dans son pays d’origine pour tenter de trouver l’apaisement ne se passe pas comme prévu en raison d’un enchaînement de mauvaises décisions, qui donnent une dimension tragique à Marché noir.
L’impossible rédemption
En plus d’aider son père à dissimuler des cadavres en raison de la pression familiale, de trafiquer des dollars pour Motevalli en raison de la pression financière, Amir subit la pression d’Asra (Baran Kosari), déterminée à retrouver son père. Leur relation d’abord marquée par la méfiance, puis par une forme d’attirance mutuelle, atteint son point culminant pendant une séquence dépeignant le marché noir, durant laquelle ils doivent prendre la fuite lors de l’arrivée des autorités.
Un passage clé qui révèle qu’Amir risque de ne pas pouvoir s’extirper du bourbier dans lequel il se trouve. Hormis quelques situations marquantes dont cette course nocturne pour échapper à la police, le suspense du long-métrage passe surtout par les hésitations et les remords qui ne cessent de le ronger.
Abbas Amini accentue le fatalisme de Marché noir jusqu’à la poursuite finale, où l’impossibilité de se racheter devient écrasante. Le film se conclut sur un moment suspendu, laissant le personnage à bout de souffle, impuissant. Jusqu'au bout, les perdants restent des perdants. Un constat glaçant, avec lequel le long-métrage retrouve son point de départ ancré dans le thriller, genre duquel il dévie pour se concentrer sur un propos politique puissant, avant d’y revenir pour refermer son piège implacable sur son anti-héros magnifique, pendu aux crochets de l’abattoir depuis le début.
Marché noir d’Abbas Amini, en salle le 5 janvier 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.