Mary Shelley : l'orgueil et monstruosités de Haifaa al-Mansour

Mary Shelley : l'orgueil et monstruosités de Haifaa al-Mansour

CRITIQUE FILM - À l’occasion du bicentenaire de la première publication de « Frankenstein ou le Prométhée moderne », sortie en salle de « Mary Shelley » de Haifaa al-Mansour, centré sur la vie de l’auteure britannique et sur la genèse de son chef-d’œuvre monstrueux.

« Sans lecteurs, les idées restent de simples mots sur une feuille ». C’est ce que dira, grosso-modo, Percy Shelley (Douglas Booth) à Mary Wollstonecraft Godwin (Elle Fanning) au début de ce biopic sur Mary Shelley, deuxième long-métrage de la réalisatrice saoudienne Haifaa al-Mansour. Cet adage, qui a confirmé la pérennité artistique de Mary Shelley, auteure de Frankenstein ou le Prométhée moderne, chef-d’œuvre de la littérature anglaise, s’accorde parfaitement avec l’œuvre de celle-ci. Composée seulement de quelques romans et de quelques nouvelles, ses échos horrifiques et existentiels résonnent toujours aujourd’hui.

Les lignes de Frankenstein n’ont en effet jamais eu autant de sens qu’à partir du moment où elles ont pu être lues et relues, décortiquées et analysées au fil des décennies et des époques. Mary Shelley est aujourd’hui une figure primordiale et essentielle de la littérature comme de la science-fiction et Frankenstein, qu’elle a écrit a seulement dix-huit ans, est un classique universel. Le sujet du film d’al-Mansour tient alors dans la genèse de ce monstre littéraire, écrit en très peu de temps lors d’un séjour près du Lac Léman. C’est en compagnie de Percy Shelly, de leur deuxième enfant (dont l’existence est étrangement boudée dans le film…), de la fille de la belle-mère de Mary, Claire Clairmont, de Lord Byron et de John Polidori, que Mary Shelley rédigera, sans vraiment le savoir, ce roman fondateur.

Mary Shelley : l'orgueil et monstruosités de Haifaa al-Mansour

Trouble, porté disparu

Mais ce qui est vrai sur le papier (sans audience, les mots n’ont plus de sens) l’est tout autant pour le film d’Haifaa al-Mansour lui-même. Seulement, au contraire de l’œuvre de la romancière dont elle met en scène quelques tranches de vie, Mary Shelley souffre d’une platitude générique jamais propice au partage et à la prospérité artistique. Si le film semble vouloir cocher toutes les cases du biopic bien ancré dans l’ère du temps (émancipation de la femme, bicentenaire de la publication de Frankenstein, réactualisation des écrits féministes et contestataire de la mère de Mary Shelley, Mary Wollstonecraft, à l’heure du combat contre un patriarcat...), il en oublie d’explorer la face artistique de Mary Shelley, la partie la plus ambiguë, la plus compliquée à illustrer, sans doute la plus intéressante et singulière.

Le principal désavantage du film tient alors dans ce déséquilibre entre la place accordée à sa figure artistique et sa figure féministe. Mary Shelley n’est jamais vraiment vue ici comme une artiste à part entière ayant accouché d’un roman visionnaire (si visionnaire d’ailleurs qu’il continue, encore aujourd’hui, d’habiter toutes les couches de la culture contemporaine à l’ère du trans-humanisme et de la recherche robotique) mais est in fine décrite comme une femme de son temps, dont l’ennui et la douleur issues de l’oppression masculine ont permis de développer l'imaginaire. Mary Shelley, le film, par soucis de pédagogie historique (approximative et romancée), finit par virer à l’académisme formel et au manichéisme pur et simple.

Mary Shelley : l'orgueil et monstruosités de Haifaa al-Mansour

Mary à tout prix ?

La psychologie des personnages et le portrait de société qui ont été privilégiés à l’étude génétique d’une œuvre littéraire ne sont d’ailleurs pas à la hauteur. Toutes les figures de Mary Shelley sont simplistes et sur-caractérisées, virant d’un bord à l’autre sans passer par le trouble situé dans les entre-deux : de la jalousie à la fraternité, de la luxure à la noblesse esthétique, de l’ennui à la fougue créatrice, du progressisme au conservatisme et inversement. Mary Shelley, en plus de ne pas mettre en valeur son personnage en tant qu’artiste, finit par en faire de même pour sa réalisatrice, ici cantonnée à exécuter un biopic attendu et simpliste et taillé pour la télévision (dont la pudeur amène les personnages à faire l’amour habillés...).

Bien qu’intéressant sur le papier, le rapport entre Mary Shelley et le premier film d’al-Mansour, Wajda, lui aussi centré sur l’émancipation féminine dans une société patriarcale (l’Arabie Saoudite), n’a donc pas su passer l’épreuve du film d’époque à la sauce Jane Austen. Cette filiation typiquement britannique oriente l'intrigue vers les ragots et les désillusions sentimentales, et place Mary Shelley dans le commun des films victoriens. Mary Shelley avec Frankenstein, tout comme sa mère, l’éminente Mary Wollstonecraft avec Défense des droits de la femme en 1792, l’avaient pourtant bien compris : c’est en produisant des œuvres radicales et révolutionnaires que l’on finit par atteindre, avec le temps, l’audience la plus large possible. La mise en valeur des figures féminines de notre Histoire au cinéma se doit aussi de passer par ce chemin là. Celui des films originaux, novateurs, singuliers, viscéraux, voire dérangeants, à l’image, justement, de Frankenstein. Soit l'exact opposé de ce Mary Shelley.

 

Mary Shelley de Haifaa al-Mansour, en salle le 8 août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

En se suffisant d'une énumération de gossips amoureux et d'un filtre grisâtre, « Mary Shelley » passe complètement à côté de ce qui fascine chez la romancière à l'origine de « Frankenstein » : son art viscéral.

Note spectateur : Sois le premier