CRITIQUE FILM - Dans « Meurs, monstre, meurs » de Alejandro Fadel, présenté dans la section Un Certain regard à Cannes, un tueur en série décapite ses victimes mais reste introuvable. Cruz, un pauvre flic, mènera l’enquête jusqu’à l’origine de ce mal infâme.
Attention, voilà un film à l’atmosphère putride. Imaginez un repas avarié, bouffé par les vers, dégoulinant d’une morve verdâtre dont on ne pourrait décrire l’odeur. Imaginez, ensuite, un mix entre les énigmes mystérieuses de Twin Peaks de David Lynch, l’enquête policière chaotique et cauchemardesque de The Strangers de Na Hong-Jin, et, pour couronner le tout d’une cerise mortifère, la monstruosité sexuelle et dévorante de La Région sauvage de Amat Escalante, qui lui aussi partait d'un postulat typique de polar – un cadavre est retrouvé dans une campagne reculée – avant de dériver vers le film fantastique lorgnant chez Zulawski et Carpenter. Mélangez le tout et vous obtenez Meurs, monstre, meurs, de l’argentin Alejandro Fadel, sommet provisoire d’Un Certain regard.
Dans les montagnes argentines, Cruz, un policier du coin, retrouve le corps décapité d’une jeune femme dans une bergerie. Pendant ce temps, un homme, David, soupçonné d’être le tueur en série arracheur de tête, et qui serait donc à l’origine de ce nouveau meurtre, réapparaît subitement aux confins des montagnes qui surplombent la vallée. Le rapprochement est tout fait : David est le coupable de ces meurtres sanglants. Mais le jour où Sara, la femme de David, est retrouvée morte dans son champ, Cruz commence à douter. Débute alors pour ce policier torturé, archétype de banalité et de non-héroïsme, une descente littérale vers l’enfer, où il découvrira qu’une véritable créature, le fameux « monstre » du titre, hante la région et se terre aux fonds de montagnes formant, à l'horizon, trois fois la lettre M.
L'antre de la folie
Meurs, monstre, meurs : c’est ce que répète une sombre voix dans l’esprit de David, âme damnée du film, provoquant, chez ce dernier, nausées et hauts le cœur répugnants qui habiteront tout le film d’Alejandro Fadel. Ce motif du vomissement et des relents nauséabonds récurrent, qui contamine les personnages un à un d’une folie destructrice, a de quoi rebuter. Pourtant, passé la volonté explicite de secouer l’estomac du spectateur de manière frontale (provoquer le dégoût en mettant en scène le propre dégoût des personnages), celui-ci révèle les véritables entrailles de ce film saisissant. Celles qui sont nichées dans les tréfonds du mal caverneux, où l’enfer, perturbé dans son repos par l’apathie et la sénilité des hommes, tend à remonter à la surface.
C’est en cela que Meurs, monstre, meurs rejoint La Région sauvage ou The Strangers : par la sidération provenue depuis la dérivation d’un point de départ familier déjà infernal (un tueur en série et des meurtres à la chaîne) jusqu'à un territoire, lui aussi bien connu, mais qui sombre encore plus loin dans l'idée que l'on se fait du Mal (un monstre hideux et grotesque). En partant du film policier, une feinte pour offrir aux masochistes que nous sommes un pur film de monstre, Fadel parvient à dynamiter ses cadres appliqués et ses séquences formalistes par toute la folie brutale contenue en leur sein. Car rien de mieux que la banale normalité d’un quidam pour signifier la plus pure des démence. Celle qui étouffe et qui tue autant qu’elle délivre de tout confort paresseux. Cruz trouvera ainsi, aux portes de l’enfer gardées par une chimère d’une sublime grossièreté, la libération tant attendue, où jouissance et mort deviennent synonymes, et où seuls trois petits mots suffisent à nous faire frissonner.
Meurs, monstre, meurs de Alejandro Fadel, présenté à Un Certain regard à Cannes, sortira prochainement en salle.