Dans "Moi, Tonya", le réalisateur Craig Gillespie retrace le parcours mouvementé de la patineuse américaine Tonya Harding dans un film drôle et pétillant.
Avec trois nominations aux Academy Awards et le prix de la meilleure actrice dans un second rôle pour Allison Janney aux Golden Globes 2018, le film Moi, Tonya a été largement salué depuis sa sortie aux Etats-Unis ; il retrace à un rythme électrique la vie tumultueuse de la patineuse artistique Tonya Harding, magistralement incarnée par Margot Robbie.
Du scandale au biopic
C'est une affaire qui défraya la chronique des années 90 : la patineuse artistique américaine Tonya Harding se voyait accusée d'avoir commandité une agression sur sa rivale Nancy Kerrigan, frappée violemment au genou lors d'une séance d'entraînement peu de temps avant les Jeux olympiques de 1994. S'appuyant sur cette histoire qui fit scandale, Craig Gillespie dresse un portrait de Tonya Harding dans un biopic pétillant et inventif qui prend à bien des égards les traits d'un documentaire parodique.
On y suit le parcours de la patineuse artistique depuis ses débuts sur la glace à l'âge de quatre ans jusqu'à sa reconversion dans la boxe féminine, en passant par les moments historiques de sa carrière, l'affaire Nancy Kerrigan et le saut qui l'a fait entrer dans l'histoire en 1991 : le tout premier triple axel réalisé par une Américaine.
"Complètement contradictoire mais complètement vrai"
L'esthétique du film, très dynamique et inventive, repose sur des choix narratifs intéressants. D'un point de vue formel, on voit se relayer deux types de plans - un cadrage étroit et un cadrage large - symbolisant deux temps du récit - présent du film et passé du récit. Le film suit un ordre chronologique, de l'enfance de Tonya jusqu'à la fin de sa carrière, entrecoupé par des moments d'interviews fictives des personnages principaux, Tonya, son mari, sa mère, son entraîneuse...
Cette structure permet une forte distanciation du récit, où s'immisce, quoiqu'en dise l'encart introductif du film ("basé sur des interviews ironiques, totalement contradictoires, et totalement vrais avec Tonya Harding et Jeff Gillooly") , une forte ironie. En effet, le film ne présente pas du tout une vérité lisse et consensuelle, contrairement à ce qu'on peut lire dans certaines critiques, mais fait au contraire apparaître Tonya de façon complexe et souvent critique. Si dans son ton général, Moi, Tonya semble effectivement appeler une certaine compassion pour Tonya Harding dans l'affaire qui l'oppose à Nancy Kerrigan, il ne s'interdit pas de souligner les contradictions de la patineuse et de la faire apparaître sous des traits parfois burlesques : sa façon, par exemple, de répéter inlassablement que rien n'est sa faute à la caméra fait perdre en crédibilité son propre témoignage.
De manière plus générale, le film joue beaucoup sur la difficulté à distinguer le vrai du faux, la vérité du mensonge dans cette affaire houleuse et plus largement concernant la vie de Tonya Harding. Les témoignages se contredisent - l'ex-mari et la mère de Tonya nient avoir jamais levé la main sur elle alors qu'elle affirme avoir été battue par eux -, mais les personnages eux-mêmes peuvent interrompre la marche du film pour mettre en cause ce qui se déroule.
Ainsi, Tonya Harding, un fusil de chasse à la main pointé l'instant d'avant sur son mari, fait face à la caméra pour nous affirmer que cela n'a jamais eu lieu. C'est ainsi avec humour que le film peint les différentes versions des faits, assumant, semble-t-il, le parti-pris de creuser aussi loin que possible la version de Tonya Harding, pour mieux comprendre la vie et la personnalité de cette patineuse hors du commun.
Un important travail de reconstitution
Moi, Tonya est par ailleurs le résultat d'un travail considérable de documentation et de reconstitution. Le réalisateur Craig Gillespie travaillait à l'époque du scandale dans la publicité et avait tourné peu avant l'affaire une publicité pour la soupe Campbell avec Nancy Kerrigan. Lui et Margot Robbie se sont beaucoup appuyés sur les images d'archive, facilement trouvables sur le net, pour reconstituer les chorégraphies de Tonya Harding mais aussi certains moments clé de sa carrière.
On retrouve non seulement le cadrage de certains plans du film dans les images des reportages télévisés de l'époque, mais même les propos tenus par les commentateurs sont reproduits dans le film. On voit dans ces images à la fois le travail sur les costumes de la patineuse, reproduits presque à l'identique, mais aussi sur les plans qui rappellent des images devenues mythiques dans le monde sportif américain, voire mondial. La performance remarquable de Margot Robbie, qui incarne à merveille la jeune Tonya Harding entre fragilité et arrogance, impertinence et soif de victoire, parfait ce travail historique de reconstruction. On plonge ainsi dans le film dans un univers délicieusement vintage, oscillant toujours entre dramatique et comique.
Sans prétendre à une révolution cinématographique, Craig Gillespie fait preuve d'audace dans sa réalisation et parvient à maintenir un rythme entraînant du début à la fin du film. On passe un bon moment devant Moi, Tonya, qui parvient à proposer une image nouvelle de cette figure du patinage artistique non conformiste et décalée.
Moi, Tonya, de Craig Gillespie, en salle le 21 février 2018. Ci-dessus la bande-annonce.