CRITIQUE / AVIS FILM - Quatre ans après avoir été oscarisé, Guillermo del Toro revient avec "Nightmare Alley", film noir porté par un Bradley Cooper sombre et ambigu.
Les vrais monstres selon Guillermo del Toro
Toute sa carrière, Guillermo del Toro a œuvré autour du cinéma fantastique. Que ce soit avec des blockbusters comme Blade 2, les Hellboy ou Pacific Rim, ou des films plus intimistes comme L'Échine du diable et Le Labyrinthe de Pan, on y trouve des créatures étranges. Des créatures qui ne sont pas forcément des antagonistes, puisque, pour le cinéaste mexicain, les vrais monstres sont généralement les hommes. C’était encore une fois le cas avec La Forme de l’eau (2018) où la romance entre Sally Hawkins et une créature aquatique est mise à mal par un terrifiant Michael Shannon.
Après avoir remporté quatre Oscars pour cette dernière œuvre (dont meilleur film et meilleur réalisateur), del Toro poursuit son exploration de la part sombre des hommes mais de manière encore plus concrète avec Nightmare Alley, adaptation du roman Le Charlatan de William Lindsay Gresham (déjà adapté au cinéma en 1947). Il met pour cela de côté le fantastique et rend hommage aux films noirs de l’âge d’or hollywoodien. Pour autant, si dans les faits on ne trouve ici que des humains, le réalisateur invoque tout de même un imaginaire fantastique. Celui qui accompagnait les foires abritant des être difformes et autres prétendus monstres.
Nightmare Alley, hommage aux films noirs hollywoodiens
La femme à barbe, l’homme le plus fort du monde, la femme araignée ! On retrouve toutes ces bêtes de foire dans la première partie de Nightmare Alley et on les découvre à travers les yeux de Stanton Carlisle (Bradley Cooper). Un homme mystérieux qui se fait embaucher comme homme à tout faire au sein d’un groupe de forains. Avec eux, il découvrira les coulisses et astuces de cet univers sans véritables monstres mais au sein duquel l'inhumanité se fait déjà ressentir.
Difficile devant cette première partie de Nightmare Alley de ne pas penser à l’excellent Freaks (1932) de Tod Browning qui opposait la laideur extérieure des phénomènes de foires à la beauté en apparence d’une femme “normale”. Pour autant, Guillermo del Toro s'en éloigne, ne serait-ce qu'en utilisant des visages “classiques” derrière du maquillage et des costumes élaborés par les forains. Cependant, sa représentation de la cruauté humaine reste la même. D’abord par le biais de Clem (Willem Dafoe), qui n’hésite pas à enfermer des ivrognes pour en faire des bêtes sauvages. Avant que Stanton ne révèle sa vraie nature.
Bien que semblant avoir des intentions nobles pour se sortir lui et la belle Molly (Rooney Mara) de leur situation précaire, ce beau parleur brillamment incarné par Bradley Cooper va doucement se perdre après avoir élaboré un spectacle de mentaliste. Un show qui l’amènera à rencontrer Lilith Ritter (Cate Blanchett), une psychiatre plus dangereuse qu’elle n’y paraît. Cette seconde partie rappelle cette fois des œuvres noires comme Assurance sur la mort (1944) de Billy Wilder, ou encore Crime Passionnel (1945) d’Otto Preminger - l’une des influences annoncées par le cinéaste.
Bradley Cooper désespéré
Dans la lignée de La Forme de l’eau, Guillermo del Toro fait preuve d’une vraie maîtrise visuelle. Il peut pour cela compter sur la présence du directeur de la photographie Dan Laustsen avec qui il collabore pour la quatrième fois. Mais également sur un casting au diapason. Cate Blanchett excelle en femme fatale et est parfaitement à sa place dans le New York des années 1940. Bien que légèrement en retrait, Rooney Mara est une évidence pour le cinéma de Guillermo del Toro. Mention spéciale également à David Strathairn, bouleversant (malgré peu de temps à l’écran) en alcoolique au bout du rouleau, tandis que Richard Jenkins se voit offrir un rôle d'une cruauté glaçante.
Enfin, Bradley Cooper retrouve un rôle profond et offre une prestation remarquable - une de ses meilleurs depuis longtemps. Après Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, le comédien redevient particulièrement intéressant avec ce rôle à double visage. À l’image de l’écriture de ce personnage ambivalent (et de seconds rôles terrifiants), del Toro joue constamment sur les faux-semblants. Sur l’idée d’un mensonge permanent qui affecte chacun. Même Molly, pourtant la plus innocente, se laissera embarquer dans le jeu de manipulation orchestré par Stanton.
Dès lors, le cinéaste propose peut-être là son film le plus sombre, avec une vision extrêmement pessimiste (mais vraie ?) du rêve américain. Une œuvre qui s’enfonce toujours plus dans la noirceur de l’âme humaine. “Je sens que c'est le moment de parler du monstrueux en nous…” déclarait le réalisateur auprès d’Empire. Un désir qu'il accompli tavec Nightmare Alley, tout en restant fidèle à son cinéma et dans une continuité logique.
Nightmare Alley de Guillermo del Toro, en salle le 19 janvier 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.