CRITIQUE / AVIS FILM - Après "The Rider" et avant de s'attaquer à la grosse machine "Les Eternels", Chloé Zhao reste liée à la nature avec "Nomadland" porté par une grande Frances McDormand.
Tout quitter pour vivre dans un van
Nomadland s’ouvre sur Frances McDormand qui regarde des affaires entassées dans un box. Elle prend une veste, et soudain une émotion forte la traverse. La comédienne ravale ses sanglots et les seules gouttes visibles à l’écran seront celles d’une neige qui fond sur le toit. En l’espace de quelques secondes, Chloé Zhao vient déjà de nous mettre la boule au ventre. On ne sait encore rien de ce personnage, et pourtant, la réalisatrice sait comment toucher le spectateur. Cependant, pas question de verser dans le tire-larmes. Son actrice quitte les lieux en laisse la fameuse veste à sa place. Comme une rupture avec sa vie passée. Un dernier carton en main, et la voilà partie dans son van pour une vie à travers l’Amérique.
Après Les Chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider (2017), Chloé Zhao continue de grandir. Avec Nomadland, basé sur le livre Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century (2017) de Jessica Bruder, elle poursuit ses obsessions autour des laissés-pour-compte dans une Amérique profonde. Son premier long-métrage suivait un couple quittant une réserve indienne. Le second s’intéressait à un ancien grand espoir du rodéo. Toujours plus proche de la nature, elle suit désormais Fern, qui après la fermeture de l’usine de plâtres d’Empire dans le Nevada, et le décès de son mari, décide de vivre sur la route. Une nomade qui alterne les emplois courts au fil des saisons.
Ainsi, si l’hiver se passe pour elle sur un parking devant un centre d’Amazon, les températures baissant, il lui faudra descendre dans le sud. Là, Fern sera tantôt concierge dans le parc naturel des Badlands, tantôt vendeuse dans une petite boutique de pierres précieuses, ou encore serveuse dans un diner. Différents lieux qui mènent à différents paysages magnifiques proposés par Chloé Zhao. Ainsi, de la ville enneigée nous découvrons la chaleur du désert avant de passer l’automne près de forêts et de falaises rocheuses sur lesquelles frappe la mer, avant de finir au pied de montagnes.
La beauté naturelle de Nomadland
La réalisatrice filme la nature, parfois comme Terrence Malick (on y reviendra), mais n’en fait pas son sujet. Celui-ci, c’est bien Fern. La grande force de Nomadland est d'ailleurs de ne pas tomber dans le misérabilisme à son propos. Car contrairement aux a priori de certains, Fern n’est pas SDF. Cette vie sur la route, elle l’a choisie. Et ce van dans lequel elle dort, c’est sa maison, sa vie.
De plus, Chloé Zhao tend une fois de plus vers le documentaire sociologique. Cela se ressent dans sa mise en scène et sa manière de capter les conversations de différents intervenants que pourra croiser Fern. Des moments intimes et de partage souvent émouvants. On y retrouve à nouveau du Terrence Malick, dont on pourra difficilement nier l'influence. Le sujet autour de saisonniers rappelle évidemment Les Moissons du ciel (1979). Mais visuellement, lorsqu’elle filme la nature, Chloé Zhao offre également des moments de grâce, à la manière du cinéaste.
Enfin, il y a dans Nomadland et chez Fern quelque chose des personnages manniens, solitaire mais en plus optimiste. Car si chez Michael Mann les personnages affichent un désir d'évasion vers la nature (les regards vers la mer), ils ne parviennent jamais vraiment à fuir et à être totalement heureux. Dans Nomadland, Fern est au contraire extrêmement positive. Une posture qui doit beaucoup à l’interprétation exemplaire de Frances McDormand. Avec son petit sourire en coin, elle ne se laisse jamais abattre et rien ne peut la dominer.
Ainsi, sans être en rupture totale avec la société, comme Henry David Thoreau avec Walden ou la Vie dans les bois, Fern a ce caractère sauvage au sens de libre. Raison pour laquelle elle sera bien incapable de rester à dormir dans une maison. Son besoin de repartir sur la route est trop fort, de suivre le courant de la nature. Nomadland offre donc le portrait d'une nomade avec un profond respect et une délicatesse qui en devient bouleversante. Un beau moment de cinéma qui aura valu à son auteure trois Oscars (Meilleur film, Meilleur réalisation, Meilleure actrice) avant que Marvel ne lui mettre le grappin dessus pour diriger Les Éternels. De quoi laisser perplexe...
Nomadland de Chloé Zhao, en salle le 9 juin 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.