CRITIQUE FILM- "On l’appelait Roda" redonne vie au poète Etienne Roda-Gil, auteur de nombreux textes de chansons pour Julien Clerc, Vanessa Paradis, Juliette Gréco et tant d’autres. Un beau portrait de l’homme et de l’artiste qui a fasciné ses interprètes.
On l'appelait Roda, c’est d’abord une rencontre entre Charlotte Silvéra, réalisatrice de fictions, et son sujet, le parolier Etienne Roda-Gil. Sans leur amitié et peut-être cette fascination et ce grand respect réciproques, ce documentaire n’aurait sans doute pas vu le jour. Homme de l’ombre, l’artiste a écrit près de 750 chansons pour des artistes aussi variés et parfois improbables que Juliette Gréco, Vanessa Paradis, Julien Clerc, Marianne Faithfull, Claude François ou Mort Schumann. On fredonne tous les airs de ces chansons populaires, sans savoir la plupart du temps que c'est lui qui a écrit les textes. Autant dire qu'Etienne Roda-Gil a ancré tous ses textes dans la réalité de son époque, dont il s’est imprégné et inspiré. La réalisatrice rend donc quatorze ans après son décès un vibrant hommage au poète, dont la mort brutale avait interrompu le tournage.
Charlotte Silvéra décrit parfaitement l’influence de ses origines et de ses convictions d’homme sur sa vie d’artiste. Car Roda-Gil n’a pas écrit que des bluettes comme Joe le taxi, qui a révélé Vanessa Paradis. Son inspiration était en effet grandement politique et historique et il se revendiquait profondément républicain. Son parcours personnel d’enfant de parents fuyant l’Espagne de Franco avant la guerre et exilés en France, son pays de naissance, l’a profondément marqué. La réalisatrice donne à voir ses multiples entretiens avec celui qui brûlait la chandelle par les deux bouts, dans la rue, chez lui, dans des cafés. Parfois ils se parlent, parfois il partage ses réflexions sur l’art. Ce qui est passionnant, c’est ce qu’il raconte de la création même d’une œuvre, la façon dont une chanson devient populaire, son reflet de l’air du temps et son rôle dans l’inconscient collectif.
Roda-Gil, un auteur en phase avec son époque
Et puis, il y a bien sûr les nombreux témoignages de ses interprètes ou des compositeurs, qui ont tous une profonde admiration pour l’artiste comme pour l’homme. La réalisatrice montre leur attachement sincère au bonhomme, avec lequel ils ont partagé des moments de vie manifestement inoubliables. Comme la scène très touchante dans un café où Vanessa Paradis et lui se retrouvent et évoquent, émus, leurs souvenirs et ceux de sa femme. On apprend que Nadine, décédée quinze ans avant lui, était sa muse, son double, son inspiratrice. Et la manière dont il évoque leur amour et leur connexion intime ne sont sans doute pas pour rien dans la beauté de ses textes écrits sur l’amour.
Fasciné par les femmes et la femme, féministe avant l’heure, il était un artiste complet. Qui se rappelle aujourd’hui qu’il dessinait aussi les jaquettes des disques de ses interprètes ? Et qu’il a fait une incursion dans la création d’un opéra révolutionnaire pour l'ex Pink Floyd Roger Waters ou dans le cinéma avec L'amour braque de André Zulawski en adaptant L’idiot de Dostoievski ?
Deux bémols toutefois dans On l’appelait Roda. Le premier, même si Julien Clerc l’effleure dans son témoignage, c'est l'impasse faite sur leur fameuse brouille qui dura pourtant près de dix ans car Roda était jaloux que son interprète ait l'envie de travailler avec d’autres auteurs. Cela aurait pourtant permis de comprendre encore mieux l’absolue nécessité pour l’auteur d’entretenir au long cours des liens avec ses interprètes, qui étaient aussi ses muses.
Le second bémol, c'est l'attrait que semble avoir exercé Roda-Gil sur la réalisatrice et qui a peut-être empêché cette dernière de porter un regard totalement objectif et critique. Car ce qui fait le charme de ce docu-portrait marque aussi sa faiblesse. À aucun moment, en effet, buvant trop ce qu’il dit comme du petit lait, elle ne le contredit dans ses certitudes et ne relève certaines de ses affirmations tranchées sur la laïcité ou les femmes. Certes, elle relève bien en off qu’il était impétueux mais elle le laisse dézinguer sans broncher certains de ses collègues artistes contemporains. On l’appelait Roda se révèle au final un documentaire très intéressant, qui atteint tout à fait l’objectif de la réalisatrice, à savoir laisser une trace pérenne de Roda. Véritable ode au texte, le documentaire lève le voile sur le mystère de la création et revisite avec bonheur quarante ans de chansons populaires, qu’on brûle d’envie de réécouter.
On l'appelait Roda de Charlotte Silvéra, en salle le 31 octobre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.