CRITIQUE / AVIS FILM "Perdrix", premier long-métrage de Erwan le Duc, est un petit bijou subtil et jubilatoire, emmené par un casting parfait : Fanny Ardant, Swann Arlaud et Nicolas Maury.
Perdrix, c’est le nom d’une famille à la fois attachante, bancale, fusionnelle, nostalgique, suspendue au passé et aux souvenirs d’une vie heureuse. Le réalisateur-scénariste Erwan Le Duc a formidablement choisi ses acteurs pour en incarner chaque membre. On sent qu’il a pris le temps et le plaisir de construire leur complexité avec bienveillance et amour, et pas seulement celle du héros. Tour à tour touchants et énervants, mère et fils semblent s’être réfugiés dans les obsessions familiales, dans une forme de temps suspendu, ennuyeux et rythmé par les horaires des repas. Sans doute pour éviter d’affronter la dure réalité liée à l’absence du père ? Traversé par une forte empathie envers chacun d’entre eux, le spectateur aura très vite une folle envie de partager leur vie, de les embrasser, d’être à leur table, de s’engueuler avec eux et même de se brosser les dents avec eux !
Fanny Ardant est Thérèse, la mère. Elle vit dans le souvenir, qu’elle entretient avec chaleur et dévotion, de la grande histoire d’amour avec son époux décédé. Perdrix offre à ce propos un regard pudique sur l’impossible deuil d’une histoire d’amour même si le corps exulte dans d’autres bras. Thérèse, grâce à la voix reconnaissable entre toutes que Fanny Ardant lui prête, prodigue chaque soir dans une émission radiophonique ses conseils amoureux à d’improbables auditeurs.
Car, vous l’aurez compris, il n’est question que d’amour dans Perdrix. Et c’est beau, généreux et chaleureux : l’amour fusionnel, passionnel, délirant d’une femme pour son mari. Mais aussi l’amour d’une mère pour ses fils et d’une grand-mère pour sa petite fille, l’amour des frères entre eux. Parfois trop exprimé, parfois mal. Question de dosage.
L'amour peut aussi parfois être étouffant
Julien, l’aîné, est interprété par Nicolas Maury. C'est la première fois qu’on voit l’acteur dans un rôle de père d'une fille adolescente. Un père paumé certes, quitté par la mère dont on ne sait où elle est partie, mais un père quand même. Comme souvent dans ce genre de famille, la plus jeune est la plus raisonnable et responsable de tous, la plus adulte… Elle prend la seule place qui lui reste dans ce duo fille-père, plombé par son métier de géodrilologue. Cette passion originale de Julien pour les vers de terre donne d’ailleurs lieu à de très jolies scènes surréalistes, dans lesquelles le talent de Nicolas Maury excelle.
Enfin, Swann Arlaud prête ses traits et son regard lunaire à Pierre, policier. C’est un homme d’une grande gentillesse, qui semble revenu de tout, impossible à surprendre. Un roc dans cette famille spéciale. Un mec un peu ennuyeux quand même. Son travail est sa vie et à l’image de cette bourgade dans laquelle il ne se passe pas grand-chose : fade et sans grand attrait.
Mais Pierre ne s’en plaint pas, tout comme il ne se plaint pas de l’inactivité ou des remarques de ses collègues, qui sont là aussi dépeints par le réalisateur avec beaucoup de fantaisie. C’est le genre de mec bien qui se tient à l’écart, constate et dit les choses, sans animosité, sans émotion. Le genre de mec qui vit à côté de son cœur, sans doute parce qu’il a vu les dégâts causés par l’amour et la passion chez sa mère et son frère.
Dans son village, on croise les protagonistes perdus d’une reconstitution historique mais surtout une bande de nudistes révolutionnaires. Ces derniers se sont donnés pour objectif de voler tout ce qui appartient à ceux qui ne vivent pas comme eux, nus et libres de toute attache matérielle. Des vêtements, des livres et même des voitures. C’est d’ailleurs en portant plainte pour le vol de sa voiture que déboule dans la vie des Perdrix et de celle de Pierre en particulier, non pas un chien fou, mais une jeune femme fantasque.
Les contraires s'attirent
Indépendante, au fort caractère, Juliette (Maud Wyler) s’est créé une bulle protectrice face au monde et vomit le mot même de famille. Elle se tient à bonne distance de sa propre vie en relatant ses journées et réflexions quotidiennes dans de multiples carnets intimes. Ne respectant aucune convenance, Juliette dit tout ce qui lui passe par la tête dont pas mal d’insultes. Tantôt détestable, tantôt adorable, elle va sacrément chambouler l’équilibre (senti)mental de Pierre, mais aussi, en dommage collatéral, l’équilibre de la famille Perdrix toute entière.
Pourtant, cet appel d’air, véritable souffle de liberté, fera prendre conscience à chacun que l’amour familial peut aussi se révéler étouffant et empêcher d’être accessible à d’autres amours. On dit que les contraires s’attirent. Juliette et Pierre ont pourtant un point commun indéniable : celui d’avoir enfoui très loin dans leurs cœurs la possibilité de croire en l’amour.
Chaque scène du film partage avec le spectateur des situations cocasses proches de l’absurde mais toujours avec un mélange équilibré de douceur, d’ironie, de gentillesse et de maladresse. Perdrix se révèle donc un premier film très réussi, qui fait entrer le spectateur dans une atmosphère poétique mêlant allègrement, l’air de rien, des réflexions poussées sur l’amour, sur le courage de changer et d’ouvrir son regard à d’autres horizons mais aussi sur l’importance de couper le cordon avec la famille pour exister soi et ne pas se perdre de vue.
Perdrix de Erwan le Duc, en salle le 14 août 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.