CRITIQUE / AVIS FILM - Avec "Pinocchio", Guillermo del Toro propose sur Netflix une adaptation du célèbre conte dans la continuité de ses films "L'Échine du diable" et "Le Labyrinthe de Pan".
Quand un génie rencontre un mythe
La version du conte de Pinocchio par Guillermo del Toro est enfin là, et l'attente a été longue. En effet, l'annonce de son développement remonte à 2008. Il aura donc fallu au moins quatorze ans pour élaborer, concevoir et produire ce long-métrage d'animation en stop motion (aussi appelée "animation en volume"). "Au moins" quatorze ans, puisque ce projet devait bien exister avant dans l'esprit de Guillermo del Toro. D'ailleurs, quel conteur, auteur, cinéaste, n'a pas le roman pour enfants écrit en 1881 par Carlo Collodi quelque part, au cœur comme à la tête ?
Après un film muet en 1911 et le "classique" Disney de 1940, six autres films ont vu le jour, et Pinocchio de del Toro est la neuvième adaptation cinématographique. Et de loin une des meilleures. Parce que Guillermo del Toro, artisan génial du cinéma contemporain et fantastique auteur d'histoires aussi belles que macabres, était tout désigné pour s'emparer de cette histoire devenue mythe.
Des créations formidables
Ce qui saute d'emblée aux yeux dans ce Pinocchio est la beauté des images et des créations qu'on y voit. Les marionnettes, qu'elles soient celles de Gepetto, de Pinocchio, ou des autres créatures du film sont toutes conçues avec un soin exceptionnel. Un des enjeux de Pinocchio est de rendre ce monde fantastique le plus palpable et donc tangible possible, et c'est totalement réussi. Alors qu'une animation entièrement numérique peut avoir tendance à unir la matière des personnages et décors, l'animation en volume permet là tout l'inverse, offrant reliefs, grain, et une large variété de matières.
La première sensibilité de Pinocchio est là, et le travail réalisé par Guillermo del Toro et l'animateur Mark Gustafson est magistral. Leur film stupéfie ainsi par sa virtuosité formelle et, pour ce qui est du ressort des CGI sur fond vert, l'association des deux techniques d'animation est parfaitement harmonieuse. Tout travail magistral d'artisan - premier sens du terme chef-d'œuvre - est remarquable et, à une époque où le recours excessif à l'ingénierie numérique est de plus en plus courant et finit parfois en bouillie visuelle, la démarche des deux réalisateurs est ainsi pleinement touchante.
Une aventure à la fois tragique et joyeuse
Si Pinocchio est à l'origine un conte adressé prioritairement aux enfants, le film de Guillermo del Toro ne l'est pas. L'adaptation est libre, très libre, et beaucoup d'éléments changent. Notamment l'époque et le contexte où le récit de Gepetto et de sa marionnette prend place. Il se situe entre deux guerres, la Première Guerre mondiale, et la Seconde. Dans une continuité avec L'Échine du diable et Le Labyrinthe de Pan, Pinocchio se développe dans le contexte de la montée du fascisme et dans un monde où la violence des hommes est partout.
Pinocchio s'ouvre ainsi sur une première violence, celle de la mort du fils de Gepetto, déjà veuf. Dans une église où il termine l'installation d'un Christ en croix, une bombe tue Carlo, âgé d'une dizaine d'années. Écrasé par le chagrin, Gepetto se laisse aller à la solitude et l'alcoolisme, jusqu'au jour où il abat l'arbre qui a poussé sur la tombe de Carlo, et de son bois en construit une marionnette...
Cette marionnette qui prend vie par l'intervention de la Fée du bois, et dans laquelle s'est installée Sebastian J. Cricket, narrateur du film auquel Ewan McGregor prête parfaitement sa voix, va alors ôter un peu du chagrin de Gepetto, sans pour autant se charger lui aussi de son deuil. Pinocchio a une pureté et une naïveté joyeuses, il a tout à apprendre de la vie, et c'est ainsi naturellement qu'il va se retrouver dans des aventures passionnantes, partagées entre celles qui sont canon et des inédites.
Émouvant et sensationnel
Avec ses scénaristes, Patrick McHale, Gris Grimly et Matthew Robbins, Guillermo del Toro propose ainsi un récit empreint de questionnements philosophiques sur la mort et l'immortalité, sur l'amour filial et l'amitié, sur la guerre. En somme, ce qui fait une humanité, ce qui était déjà l'intention morale du conte de Collodi, mais est ici traité avec une mécanique tragique et la tonalité macabre chère au réalisateur de La Forme de l'eau.
Pinocchio de Guillermo del Toro, disponible sur Netflix le 9 décembre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.