CRITIQUE / AVIS FILM - À défaut de pouvoir sortir en salles, « Pinocchio » débarque sur Amazon Prime Video. Si l’intrigue du conte de Carlo Collodi est bien connue, Matteo Garrone parvient à raviver l’émerveillement autour du pantin qui rêve de devenir petit garçon.
À première vue, la présence de Matteo Garrone (Gomorra) aux commandes de cette nouvelle version de Pinocchio a de quoi surprendre. Mais le réalisateur est un féru de contes et de morales, comme il l’a déjà prouvé à plusieurs reprises. Sorti en 2018, Dogman évoquait par exemple la lutte de David contre Goliath dans un quartier déshérité. Avec ce nouveau long-métrage, le cinéaste reprend la trame du conte de Carlo Collodi, tout en continuant de se pencher sur la pauvreté, et les ruses pour tenter d’y échapper.
Un conte fait pour Matteo Garrone
La naissance même de Pinocchio est liée au fait que son père Geppetto, interprété par Roberto Benigni, n’a pas les moyens d’acquérir un morceau de bois digne de ce nom. Lorsqu’il s’échappe de son village avant d’être libéré du théâtre de marionnettes dans lequel il a été recueilli, le jeune héros découvre la cupidité et les tromperies du Renard et du Chat, prêts à tout, y compris à pendre un enfant, pour « casser une petite croûte ».
Tale of Tales, première incursion de Matteo Garrone dans le merveilleux, s’intéressait au pouvoir et aux sacrifices nécessaires pour le conserver et continuer à l’exercer. Ici, Pinocchio est l’inverse de la reine et du roi incarnés par Salma Hayek et Vincent Cassel dans le précédent long-métrage. Il s’apparente davantage, tout comme Geppetto, au toiletteur pour chiens de Dogman, régulièrement méprisé et contraint de faire les mauvais choix pour gagner le respect des autres.
Pinocchio, brillamment incarné par le jeune Federico Ielapi, découvre donc que la jeunesse est un risque à courir. Outre les apparitions d’un grillon bienveillant et de la petite Fée, le pantin est la plupart du temps livré à lui-même dans cette quête vers des racines qu’il a trop vite délaissées. Le héros se rend compte qu’être un enfant choyé et obéissant n’est pas si mal, après tout. Une morale certes facile, mais amenée après un voyage éprouvant et passionnant, où la cruauté s’exprime sous toutes ses formes. En continuant d’explorer ses propres thématiques, Matteo Garrone donne au spectateur l’impression de redécouvrir l’histoire de Pinocchio. Un sentiment qui est d’ailleurs renforcé par ses choix de mise en scène.
L’amour de l’artisanat cinématographique
Est-il encore possible de rendre hommage à l’artisanat au cinéma alors que les possibilités visuelles sont démultipliées grâce aux effets numériques ? C’est l’un des doutes qu’il est possible d’avoir face à Pinocchio, qui arrive après une multitude d’adaptations dont certaines peu glorieuses, à commencer par celle sortie en 2012 et réalisée par Roberto Benigni.
Matteo Garrone efface rapidement cette réserve en privilégiant les décors naturels et en accordant un grand soin aux costumes et aux décors. C’était d’ailleurs déjà le cas dans Tale of Tales, qui dévoilait cependant un bestiaire nettement plus terrifiant, où les monstres marins et autres créatures ne manquaient pas de répugner le spectateur, ne serait-ce que par leur grandeur.
Dans Pinocchio, les personnages et les situations baroques sont toujours là. Néanmoins, elles apparaissent dans un univers dépouillé, qui fait aussi bien écho à la pauvreté des villageois qu’à la volonté du cinéaste de ne pas tomber dans la surenchère. Contrairement à Tale of Tales, il n’est ici pas question d’opulence mais de manque, affectif ou matériel. Par ailleurs, Matteo Garrone parvient à retranscrire les aspérités du bois dont est constitué Pinocchio, sans pour autant priver le pantin de mouvements d’une parfaite fluidité, en accord parfait avec l’énergie qui caractérise les enfants.
Il s’agissait donc pour le cinéaste de trouver un équilibre entre le merveilleux et le réaliste, et d’ancrer le premier de manière naturelle dans le second, comme il le faisait par petites touches dans Dogman. L’exercice est très périlleux, mais une nouvelle fois réussi et impressionnant.
Pinocchio de Matteo Garrone, disponible sur Amazon Prime Video à partir du 4 mai 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.