CRITIQUE / AVIS FILM - "Place des victoires" est une amitié touchante entre un homme meurtri par un geste regrettable et un petit garçon lumineux. Avec Guillaume De Tonquédec, aussi surprenant qu’émouvant. En salles le 6 novembre.
Place des Victoires s’attache aux pas de Bruno, dont on comprend vite qu’il a fait quelque chose de suffisamment grave pour que sa femme demande une mesure d’éloignement. La violence conjugale est hors-champ et en prise avec l’actualité de violence ultime qui mène parfois au féminicide. Mais le film porte sur le point de vue de Bruno, que le réalisateur Yoann Guillouzouic, avec un certain courage, choisit de ne pas juger, sans pour autant l’excuser. Car la question posée par Place des Victoires n’est pas tant de savoir si Bruno est conscient d’avoir mal agi - après un temps de déni et de colère, il regrettera son geste et ce qu’il a entraîné.
La vraie question, c’est plutôt comment un homme, qui souhaite se racheter, s'y prend-il pour réparer sa faute et remonter la pente. Pour se regarder sans honte dans une glace et faire en sorte que sa femme porte à nouveau un regard bienveillant sur lui. Car Bruno ne se remet pas de l’engrenage qui l’a mené si bas après la plainte portée par sa femme. Tous ses repères ont volé en éclat, il est désormais à la marge de sa vie d’avant, dans un véritable no man’s land physique et émotionnel. Il a perdu, non seulement sa place de mari et de père, mais aussi sa condition de patron et le standing de son immeuble haussmannien. Sa place d’homme dans la société, en somme.
Le spectateur fait sa connaissance plusieurs mois après son geste, alors qu’il n’est plus qu’un homme à terre, sur le qui-vive, en errance dans des rues d’un Paris populaire qu’il n’avait pas l’habitude de côtoyer. Son portable est désormais son seul lien social, grâce auquel il joint son avocate ou Pôle Emploi, mais surtout sa femme pour la supplier de le laisser voir ses enfants. Il est dans une telle galère financière qu’il ne parvient même plus à payer le loyer de son appartement minable. Ce n’est évidemment pas la première fois que la déchéance d’un homme est filmée avec empathie et réalisme. On pense ainsi à Une époque formidable avec Richard Bohringer, qui fait d’ailleurs une apparition touchante dans Place des Victoires en tant que propriétaire très compréhensif de Bruno.
Quand on a touché le fond, on ne peut que remonter
Cet homme brisé, que son acte condamne désormais à assumer sa nouvelle vulnérabilité, est magnifiquement incarné par Guillaume De Tonquédec, qui était déjà sorti de sa zone de confort d'interprétation dans l’audacieux Les nuits d’été. L’acteur est bouleversant dans ce personnage, dont le réalisateur, qu’on a rencontré, explique « qu’il n’est jamais là où il devrait être, comme dans l’Étranger de Camus ». Alors quand Gagic, petit garçon de la communauté rom, lui vole son téléphone, c’est la goutte d’eau de trop pour le vase de Bruno. Contre toute attente, il retrouve le bidonville dans lequel Gagic vit avec sa famille et le somme de lui rendre son téléphone.
Mais cette rencontre improbable va finalement permettre à Bruno de décentrer son regard sur ses propres problèmes et lui faire comprendre qu’il y a pire situation que la sienne. Le jeune Piti Puia a été découvert il y a quatre ans dans un bidonville à Montreuil, lors d’un casting sauvage qui a changé la vie de sa famille. Pour Yoann Guillouzouic, « Piti a quelque chose d’essentiel : il est très présent au monde et a l’amour de ses parents, il ne lui manque qu’un toit sur la tête. La famille ne vit pas de vols de portables et d’agressions, mais de récupérations d’objets et de vêtements, et est logée par la production dans un appartement jusqu’à mi-2020, et les enfants vont à l’école ». Preuve, s'il en était besoin, que le cinéma peut aussi faire une bonne action et bouger les lignes.
Au contact du facétieux Gagic, Bruno va réapprendre à rire, redevenir acteur de sa vie, mais surtout ouvrir son cœur à l’amitié. Une amitié extraordinaire, qui ne soulève pourtant aucune ambiguïté, car « Bruno ne véhicule pas ce genre de relations, ce n’est pas un enfant qu’il ramène chez lui, mais bien un voleur ». C’est d’ailleurs le même genre d’amitié qu’on retrouve entre un homme et un petit garçon dans Pour un garçon avec Hugh Grant, ou plus récemment dans Fahim avec Gérard Depardieu. Ce qui fonde un tel lien, c’est surtout l’admiration mutuelle que les deux se portent et leur complicité, très joliment filmée. Place des Victoires montre très bien le moment de l'abandon des préjugés et l'envie pour Bruno de transmettre et d'éduquer, un peu comme il le ferait à ses propres enfants. Et pour Gagic la joie d'apprendre et d’être enfin considéré par un adulte.
Illustrant parfaitement l’adage « Ensemble on est plus fort », Place des Victoires évite soigneusement l’écueil de la dégoulinade de bons sentiments et mélange habilement cinéma d’auteur, comédie populaire et feel good movie. Film délicat très réussi aux personnages lumineux et attachants, il permet aussi de faire réfléchir à ce que les parcours de vie, la précarité et la solitude obligent parfois à faire et aux risques inconsidérément pris pour éviter de tomber plus bas qu’on ne l’est déjà. À voir absolument.
Place des victoires de Yoann Guillouzouic, en salle le 6 novembre 2019 – Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.