CRITIQUE / AVIS FILM - "Police", nouveau film d'Anne Fontaine, réunit Omar Sy, Virginie Efira et Grégory Gadebois dans un film dont l'apparence modeste dissimule mal sa très grande qualité. Un beau film de cinéma, et un discours intelligent sur la police.
Police, trois vies pour une institution
En 2011, Maïwenn proposait Polisse, un film ambitieux au casting brillant, réussi mais avec des failles et parfois (souvent) poseur. Mais il avait le très joli mérite de jeter une lumière crue sur la réalité d'un métier, et d'ouvrir une perspective contemporaine, sans héroïsme ou manichéisme, du traitement du quotidien policier. À la manière d'autres créations d'un temps proche (et d'une intention proche aussi), comme The Wire ou Engrenages par exemple, le nouveau film d'Anne Fontaine, Police, s'inscrit lui aussi dans cette idée. Police, adapté du roman éponyme de Hugo Boris et orthographié correctement pour ne rien suggérer a priori, s'applique pendant 1h39 à décrire avec une précision et une empathie bouleversantes la journée de trois policiers, chargés de raccompagner un réfugié politique à la frontière. Avec un casting réunissant des comédiens parmi les tout meilleurs de leur génération, la réalisatrice réussit, dans un presque huis clos, un tour de force artistique mémorable.
Virginie (Virginie Efira), Aristide (Omar Sy) et Erik (Grégory Gadebois), sont des policiers d'un arrondissement parisien, collègues d'un maintien de l'ordre qui consiste à prévenir la délinquance et la criminalité malheureusement usuelle, comme les violences domestiques et les bagarres de rue. Pour décrire leur journée, Anne Fontaine propose trois récits, un pour chaque personnage. Des récits qui vont précéder leur dernière mission de la journée, ensemble : conduire à Roissy un réfugié politique d'un pays d'Asie centrale, Tohirov (interprété par le grand acteur iranien Peymân Maâdi), afin qu'il soit reconduit dans son pays. Point important : ce n'est évidemment pas dans leurs prérogatives, puisqu'un service de police spécialisé existe pour ces missions. Mais - un peu à la manière de la BAC qu'on contraint parfois à gérer des manifestations par manque d'effectifs, avec les bavures qui en découlent immanquablement - c'est ainsi et ils se retrouvent donc à devoir remplir cette mission "extraordinaire" pour eux.
Il n'y a pas de héros dans Police, il n'y a pas de grandes âmes ou d'attitudes exemplaires. Virginie, Aristide et Erik ont des vies, des problèmes personnels, des angoisses et des addictions, des histoires qui sont mortes et d'autres qui naissent. Dans cette institution policière qu'on devine débordée et au bord de la défaillance, Anne Fontaine filme des individus, deux hommes et une femme, qui essaient de s'en sortir comme ils peuvent. Réunis tous les trois dans leur véhicule de patrouille, l'iconique et souvent moquée Berlingo, chacun ayant en plus de la mission une raison personnelle d'y être, ils conduisent donc Tohirov à l'aéroport sans trop se poser de questions, jusqu'à ce que Virginie pose les yeux sur les motifs de la reconduite et sur ce qui a priori attend Tohirov dans son pays : une mort à peu près certaine. Vont-ils mener à bien leur mission ou essayer de sauver Tohirov ?
Petits effets pour grand spectacle
Le cadre est réaliste, on reconnaît Paris, les uniformes et les appartements, l'autoroute qui part du nord de Paris pour Roissy. Mais en choisissant de ne pas faire d'un de ses personnages le narrateur et le marqueur éthique de son film, Anne Fontaine construit un théâtre où est permis un élan lyrique qui confond les trajectoires individuelles dans une bouleversante universalité, nourrie par l'équilibre fragile et naturel de la bonté et de l'égoïsme. Si Virginie est prête à laisser la portière ouverte à Tohirov, Aristide et Erik ne sont pas de cet avis. Des révélations vont se succéder sur leurs liens et sur leur rapport à leur métier, pour faire de ce trio la ligne morale que le spectateur va parcourir.
L'intelligence de Police est de ne pas faire de Tohirov une victime de policiers qui seraient ses bourreaux, mais de faire de ce personnage une idée plutôt qu'un acteur - au sens de celui qui agit. Il ne parle ni français ni anglais, il est terrorisé à l'idée d'être dans la voiture, comme d'en sortir. Il est immobile, incarnant plutôt les millions de réfugiés du monde qu'un seul, et c'est autour de lui que vont se développer les autres personnages. Il est un personnage-support, un symbole brillamment écrit, et que Peymân Maâdi incarne avec une très grande justesse.
Virginie Efira ajoute un nouveau rôle infiniment brillant, encore, à son CV. Omar Sy, qu'utilise Anne Fontaine de manière inédite, prend la douceur qu'on lui attribue de coutume à contre-pied, en la couplant avec une grande détresse. Par petites touches, par phrases courtes et timides, par des gros plans où se lisent dans les yeux une perte, on découvre des personnages emprisonnés dans leurs tourments mais avec la volonté de s'en sortir. Enfin, Grégory Gadebois, acteur dont la popularité semble étrangement inverse à son immense et unique talent, compose un personnage usé par la vie et à la douleur infinie.
Police est beau, à la fois sec et tendre, et alors qu'on aurait pu cyniquement sourire à ce drame qui se joue entre les portières coulissantes d'une Kangoo, c'est à bord de ce drôle de vaisseau que se joue la décision de vie ou de mort. On n'en dira pas plus sur les raisons personnelles qui dictent à chacun son action, parce que les séquences qui les révèlent sont mises en scène avec une maîtrise et une intelligence rares.
Police, un portrait de l'humanité
Initialement prévue au 1er avril, la sortie du film a été repoussée pour cause de pandémie. Depuis, ici et ailleurs, les violences policières ont tristement et légitimement fait beaucoup de unes. En France, depuis maintenant plusieurs années - voire depuis toujours peut-être - l'institution policière est sous pression, devenue l'ennemie de la population qu'elle doit aider et secourir, en plus d'être abandonnée par ses chefs qui ne l'envisagent plus que comme le bras armé d'une politique qui écrase les individus. Dans Police, il n'y a pas de méchant symbolisant cette institution.
En réalité, il n'y a aucune représentation symbolique de l'institution, puisque l'institution n'existe que par les individus et les idées qui la forment. La police, c'est Virginie, Erik, Aristide et tous les autres qui font comme il leur est fatalement permis de faire. Ainsi, Police n'accuse ni ne célèbre personne, ne glorifie ni ne condamne rien, mais se fait le témoin d'une réalité âpre et tragique. Réalisatrice experte, titulaire d'une filmographie remarquable, Anne Fontaine s'autorise uniquement un usage ambitieux et audacieux de la musique pour affirmer son idée, allant de la variété française à de grandes œuvres classiques : c'est à stricte hauteur d'homme et de femme, ni en plongée ou contre-plongée, qu'on fait les grandes histoires. Et aussi les grands films.
Police d'Anne Fontaine, en salle le 2 septembre 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.