CRITIQUE / AVIS FILM – "Pour la France" de Rachid Hami, immerge avec pudeur le spectateur dans la vie d’une famille brisée par un drame survenu dans une institution militaire. Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine et Laurent Lafitte.
La tragique histoire vraie de Pour la France
En 2012, un élève officier de 24 ans de la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr est mort lors d’une nuit de bahutage. Le bahutage est une sorte de rite d’initiation qui se déroule sur plusieurs semaines pour les nouveaux. L’élève officier, c’était Jallal Hami et Pour la France, c’est le long-métrage que son frère Rachid Hami a réalisé et coécrit avec Ollivier Pourriol.
Le réalisateur venu présenter son film au Festival International du Film Politique de Carcassonne en compagnie de Karim Leklou, dit « avoir puisé dans son vécu pour en faire un objet de fiction ». Prenant soin de rester à bonne distance de ses émotions et de son deuil, il a « essayé de casser les clichés sur la famille magrébine et d’être juste sur l’institution militaire ».
La douleur d’une famille
Grâce à de judicieux flashbacks, le film met en scène les rapports difficiles entre les deux frères Aïssa (Shaïn Boumedine) et Ismaël (Karim Leklou). Il donne à voir leur relation avec leur mère Nadia (Lubna Azabal), femme courageuse. Car la famille Saïdi a eu deux vies et la place des deux frères a évolué. D’abord la vie en Algérie, pendant la guerre civile en 1992. Nadia a quitté Adil (Samir Guesmi), policier violent et emmené ses deux fils en France. Pour la France parvient à saisir avec émotion comment les liens peuvent se briser, autant avec un père qu’avec un pays.
Ainsi, comme un poisson dans l’eau dans sa nouvelle vie, Aïssa s’est donné les moyens de servir son nouveau pays. Grâce à Sciences Po, il passe une année à Taïwan puis intègre Saint-Cyr. L’ainé, Ismaël, plus protecteur, est celui qui a moins d’ambition et plus de problèmes. Un étonnant long plan-séquence de bagarre entre les deux frères fait éclater leurs conflits sous-jacents. Pour Karim Leklou, « c’est l'une des scènes les plus dures qu’il ait eue à faire, avec un dialogue important qui dit beaucoup de cette famille et de ses vérités ». Tout y sera dit, en effet.
Pour la France montre sans pathos et avec une grande pudeur cette nouvelle place qu’Ismaël va réussir à trouver. Aux yeux de sa mère, ou ceux de son oncle Brahim (Slimane Dazi). Mais surtout à ses propres yeux. Le travail de deuil s’opère, la colère surgit et les questions affluent, mais Ismaël doit aussi se battre pour obtenir une sépulture digne d’Aïssa. Car le film donne à voir la difficulté d’offrir des funérailles à la hauteur de ce jeune homme.
L’Armée, la toujours grande muette
Plus qu’un combat pour la vérité - et même si une juge d’instruction s’empare du dossier -, Pour la France est surtout un combat pour la dignité. Il interroge avec délicatesse sur ce à quoi a droit un soldat qui n’est pas mort au combat, mais à cause de ses camarades. Sur ce à quoi sont prêts les militaires pour ne pas s’excuser de la conduite des autres élèves. Les échanges avec les gradés de cette famille issue de l’immigration, humble dans son rapport à l’institution militaire, sont d'ailleurs d’une grande intensité.
Le réalisateur permet au spectateur empathique de voir l’envers du décor et de participer aux discussions entre les dits-gradés. Général Caillard (Laurent Lafitte, de la Comédie Française), directeur de Saint-Cyr, est très émouvant dans la prise de conscience de sa responsabilité. Le Colonel Mohamedi (Lyes Salem) et le Général Ledoux (Laurent Capelluto) sont glaçants dans leur façon de ne pas remettre en question les usages de l’institution. Et ce temps de réflexion donne à voir les scènes douloureuses des visites dans la chambre froide dans laquelle repose Aïssa.
Un grand Karim Leklou
Le casting de Pour la France est exceptionnel, avec une mention spéciale à Karim Leklou. Acteur dont la présence robuste suffit souvent à elle-seule à imposer un rôle, il interprète ici un personnage au corps plus mobile et aux dialogues plus intimes. Il dit « avoir travaillé avec le réalisateur la question de marquer la temporalité avec un changement dans le personnage, en perdant du poids ».
Double fictionnel du réalisateur, « mais sans volonté de mimétisme », Karim Leklou fait très bien ressentir comment le mouvement introspectif peut impulser la mise en mouvement physique. Comment un drame personnel peut ouvrir sur l’universel. Et comment la douleur d’une perte peut aussi donner lieu à la construction d’une identité. Film très puissant, Pour la France offre un regard différent sans manichéisme et sur qui sont les Français, et interroge sur l’engagement d’un patriote.
Pour la France de Rachid Hami, en salles le 8 février 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.