CRITIQUE AVIS/FILM : "Présidents", le nouveau film d'Anne Fontaine avec Jean Dujardin et François Hollande en anciens présidents en pleine crise existentielle, est un excellent film et une comédie de très haut niveau, où l'on rit de manière franche et inédite presque jusqu'au bout.
Pour tout ce qu'il peut avoir de déstabilisant, le cinéma d'Anne Fontaine n'a rien de fondamentalement étrange. Surprenants toujours, ses films tordent la réalité imposée pour emmener son histoire et ses personnages dans des situations, des gestes et des mots qui sont souvent inédits. La prolifique réalisatrice franco-luxembourgeoise, dix-huit films au compteur en tant que réalisatrice, propose ainsi un cinéma direct et intelligible, en enchâssant dans un cadre classique des intrigues et des motifs qui, eux, peuvent être entièrement originaux et surprenants. C'est le cas de sa nouvelle réalisation, Présidents, qui s'appuie sur une forme comique millénaire pour raconter une fiction très actuelle qui s'amuse gracieusement avec son pseudo-réalisme.
De grands comédiens pour de grands personnages
Anne Fontaine aime ses actrices, ses acteurs, et leurs personnages. C'est ce qui ressort en premier du cadre souvent serré dans lequel Grégory Gadebois et Jean Dujardin, respectivement François H. et Nicolas S., s'en donnent à coeur joie pour incarner deux anciens présidents de la République française, très vivants et logiquement très connus. L'objectif n'est pas l'imitation, mais l'utilisation de ce que l'on croit savoir, de ce qu'eux, d'eux-mêmes, veulent laisser paraître, pour partir vers autre chose. Si Nicolas est nerveux, si François est mollasson, alors que va-t-il se passer s'ils se montrent autrement ? Comme la politique, le cinéma est aussi un terrain de jeu malicieux où l'on s'amuse avec la vérité des discours et l'authenticité des individus.
On reconnaît évidemment, grâce à ces deux formidables comédiens, les traits des présidents qu'ils incarnent. Si caricature il y a, elle existe au sens noble, pour évoquer le caractère et non pas le personnage qui porte ce caractère. Accompagnés par les non moins formidables Pascale Arbillot et Doria Tillier, vétérinaire pour la première et chanteuse lyrique pour la seconde, ce quatuor construit une relation élastique à la réalité, semant ça et là quelques références véridiques dans un déroulé comique de l'ordre de la pure invention.
Un divertissement presque total
On rit souvent, on rit franchement. L'écriture des dialogues et l'interprétation de tout le casting - Pierre Lottin et Jean-Charles Clichet en officiers de sécurité brillent en soutien - délivrent des moments très drôles, avec cette sensation plaisante qu'on connaît bien ces personnages mais qu'on ne les avait jamais vus ainsi. L'exercice de la fable, du conte moral, est réussi, mais tout d'abord parce que Présidents est amusant, ironique, intelligent, c'est une fiction comique entière avec son début, son milieu et sa fin, son univers.
Nicolas retrouve ainsi François, et son esprit de revanche va le contaminer en le quittant lui progressivement. Déprimé à Paris, Nicolas va entrer dans une profonde remise en question à Saint-Bonnet, village de Corrèze où François a élu le domicile de sa retraite. En vélo, sur un terrain de tennis, à table, ils s'attellent à ordonner une pensée politique commune, avec évidemment des frictions délicieuses à regarder. Cette situation repose ainsi sur des ressorts comiques éprouvés et très efficients, mais jusqu'au point seulement où Anne Fontaine abandonne la pure affabulation pour donner un sens concret et trop contemporain (c'est à ce moment que la banale réalité sur laquelle le récit est pourtant fondé n'est plus sublimé), en proposant une solution.
Haut jusqu'à se brûler les ailes
Les deux anciens présidents se sont fâchés et amusés, détestés et appréciés, et la confrontation de leur projet de parti politique commun aux potentiels électeurs va logiquement les hébéter. En effet Présidents du vieux monde, individus coincés dans leur sort, ils doivent laisser la place à d'autres personnalités, à un autre sexe, une autre intelligence et une autre manière de faire : une femme apparaît naturellement comme le meilleur recours à leur ambition de façade (sauver la France et la démocratie du péril fasciste, mais retrouver le pouvoir avant tout). L'idée est simple et bonne, logique, mais elle siffle la fin de la récréation animée jusque-là brillamment.
Il est toujours difficile de s'arrêter, et Présidents choisit de faire tomber le rideau sur une idée déjà faite, consensuelle, une issue qui a la stabilité du terrain connu. Très joliment absurde et joyeusement fou sur beaucoup d'aspects, Présidents s'alourdit finalement d'une réalité prononcée - et d'une forme de gravité -, alors que sa grande qualité pouvait lui offrir une conclusion plus subtile.
Présidents, de Anne Fontaine. Le 30 juin au cinéma. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.