CRITIQUE FILM – Après l'enthousiasmant "Dernier Train Pour Busan", Sang-Ho Yeon délaisse les zombies pour aborder le monde des super-héros.
Toujours à l'affût de beaux noms pour enrichir son catalogue de titres exclusifs, Netflix a réussi à décrocher les droits pour diffuser sur leur plateforme le nouveau film de Yeon Sang-ho. Acclamé pour Dernier Train Pour Busan, on voyait cet achat comme une belle prise de la part du géant américain. Mais le bide commercial lors de son exploitation sur grand écran en Corée n'était pas spécialement rassurant. Sentiment confirmé ?
Dans Psychokinesis, un agent de sécurité se retrouve doté de pouvoirs après avoir bu, sans le vouloir, de l’eau contaminée par une météorite crashée sur Terre. Ce point de départ, expédié en quelques plans, marque le début de cette origin-story dans la plus pure tradition du genre. Les spectateurs ont désormais l’habitude de cette mécanique de narration depuis que Marvel a massivement envahi l’espace cinématographique. Comme pour des héros classiques tels que Spider-Man, Superman ou Hulk, Psychokinesis emprunte le chemin habituel qui va du moment où tout bascule à l’apprentissage des pouvoirs. En l’occurrence, ici, il s’agit de télékinésie. Mais autant dire de suite qu'en ce qui concerne les effets spéciaux, le film n'a rien à voir avec les productions Marvel.
Film de super-héros, mais pas que !
Ce personnage principal, lambda et simplet, on l’a déjà vu dans le cinéma coréen. Il n’a pas l’envergure pour devenir le héros acclamé par tous. À l’instar des policiers dans Memories of Murder ou dans The Strangers, cet agent de sécurité ne respire pas l’autorité. Pourtant il va bien devoir s’imposer dans une histoire qui le dépasse. Si vous vous attendez à un pur film de super-héros, vous risquez d’être forcément déçu. Ce postulat de série B et le genre sont des prétextes pour aborder d’autres problématiques. Un mode opératoire répandu dans le cinéma coréen, qui n’hésite pas, par la même occasion, à manier les registres en imposant de subites ruptures de ton. Comme lorsque le héros construit avec son pouvoir une barricade et qu’il n’arrive pas à faire tenir une porte. L’humour n’est pas fin mais marche au forceps parce que Ryu Seung-ryong y va franco dans son interprétation outrancière.
Hélas, Psychokinesis perd en homogénéité à mesure qu’il avance, en voulant traiter deux sujets à la fois. D’un côté le drame personnel dans lequel ce père veut se réconcilier avec sa fille suite au décès de son ex-femme. Et de l’autre, un affrontement avec une grosse corporation qui impose sa loi pour un projet de construction. Yeon Sang-ho s’égare autant dans son écriture que dans son montage et n’arrive pas à équilibrer tous les enjeux qu’il veut mettre en scène. Si l’aspect intime n’a rien d’original, il marche plutôt pas mal. On comprend très vite que l’apprentissage dont il est question, est d’avantage celui de la paternité que celui de pouvoir. Les férus du genre auront vu mieux ailleurs mais le film possède un réel potentiel émotionnel sur cet axe, grâce aux deux acteurs principaux et à l'écriture de Yeon Sang-ho. Il avait déjà prouvé avec Dernier Train Pour Busan sa capacité à traiter une relation père/fille. Malgré le petit sentiment de redite d'un film à l'autre, la partie réussie de Psychokinesis se repose là-dessus.
En revanche, ce que le metteur en scène coréen veut dire de son pays tombe un peu à plat. Parce que le traitement trop superficiel empêche le sujet d'avoir une réelle portée revendicatrice. Passé le rapport de force archi-revu qui oppose les gens modestes et une grosse boîte friande de corruption, Psychokinesis n'a rien de plus à dire. D'autant plus que les méchants ont trop tendance à être idiots pour rendre l'opposition intense.
Yeon Sang-ho ne confirme pas
À force de jouer sur tous les tableaux, le film ressemble à un cliché. On perçoit les marqueurs typiques du cinéma coréen sans en retrouver la magie. Là est toute la différence pour Yeon Sang-ho qui avait réussi à merveille cet assemblage d'éléments dans Dernier Train Pour Busan. Le huis clos l'obligeait aussi dans un sens à concentrer ses intentions afin de viser l'efficacité. Avec Psychokinesis, on a plus l'impression d'être face à une contre-façon. Peut-être parce que le cinéma coréen nous a placé dans une situation de confort en s'imposant comme la contrée la plus revigorante depuis le milieu des années 2000. Bien sûr, le talent perceptible de Yeon Sang-ho sauve un peu les meubles mais le miracle n'aura pas lieu une seconde fois. Pour son deuxième long-métrage en live, il déçoit.
Psychokinesis de Yeon Sang-ho, sur Netflix à partir du 25 avril 2018. Ci-dessus la bande-annonce.