CRITIQUE / AVIS FILM - 60 ans après qu'Alfred Hitchcock s'y soit essayé, Ben Wheatley adapte pour Netflix le roman "Rebecca" de Daphné du Maurier, avec cette fois Lily James et Armie Hammer dans les rôles principaux.
Rebecca : une relecture plus moderne mais pas meilleure
Il faut du courage pour passer après Alfred Hitchcock et son adaptation qui remporta l'Oscar du meilleur film en 1941. Le script de ce nouveau Rebecca, signé par Jane Goldman, Joe Shrapnel et Anna Waterhouse, arrive entre les mains de Ben Wheatley, qui doit se dépatouiller avec une actualisation du propos et une structure déjà connue.
L'histoire reprend les grandes lignes du roman, commençant sur la Côte d'Azur, du côté de Monte-Carlo. C'est là qu'une modeste femme de compagnie se trouve avec Mrs Van Hopper, une bourgeoise. Elle va croiser la route de Maxim de Winter, un homme riche qui vient de perdre sa femme, Rebecca. Tout le monde dans la haute société sait qu'il est ravagé par le chagrin. Au contact de cette jeune femme qui n'est pas du tout dans son élément, il semble revivre. Au point de l'inviter dans son manoir de Manderley et de l'épouser. Devenue Madame de Winter, elle pense débuter une nouvelle vie de château, avec une armée de serviteurs pour l'assister. Elle va cependant vite comprendre que l'ancienne maîtresse de maison est encore dans les têtes de tout le monde. Comme un fantôme qui hanterait les allées de la demeure. Pourquoi tout le monde en revient à Rebecca ? Et quel secret se cache derrière sa mort, lors d'une sortie en mer ?
Dans son adaptation, Alfred Hitchcock avait opté pour quelques libertés. Cette nouvelle en a aussi plusieurs au programme, ce qui peut décevoir les fervents fans du roman original. Rebecca version 2020 est un film qui se veut en phase avec son époque, en plaçant l'homme comme un bourreau. Maxim de Winter est une figure désignée comme responsable de la mort de son ex-femme, parce qu'elle aspirait à une vie délestée des chaînes du mariage. Il ne supportait pas qu'elle échappe à son autorité et pense que sa nouvelle compagne cédera devant ses excès de colère, parce qu'elle est en position de faiblesse (elle se décrit dès les premières secondes comme "innocente et sans perspective d'avenir").
Rebecca était belle, intelligente, forte dans tous les domaines, jamais peureuse et menait par l'envie de voir ce qu'elle souhaitait. Le film compose son portrait au travers de différents dialogues. Le spectateur comprend, sans la voir, quelle grande dame elle était. Tout le monde parle d'elle positivement auprès de sa remplaçante, créant un climat dérangeant. L'une de ses plus grandes fans aura été Mrs Danvers, impérialement incarnée par une Kristin Scott Thomas.
Quelques secousses formelles dans un film ennuyeux
Avec son récit un peu lourd à mener, Ben Wheatley trouve quelques pistes pour laisser entrer sa folie créative. Le réalisateur britannique a signé des OVNI comme Kill List, Touristes et English Revolution, avec un style qui touche parfois à l'expérimental. Rebecca est un objet plus calibré pour séduire Hollywood. Ce que l'on constate avec cette photographie très lumineuse, des plans qui conviendraient à n'importe quelle agence de voyage (surtout dans la première partie) et ce casting principal qui ajoute du charme à l'ensemble.
Lily James et Armie Hammer sont plus beaux, plus sexy que Joan Fontaine et Laurence Olivier en leur temps. Ils sont différents, certes, mais pas mieux. Leurs rapports, eux, sont charnels. À mille lieux de la pudeur de Daphné du Maurier. Dans cette machine qui sent le luxe, Ben Wheatley n'a que rarement l'opportunité de s'éclater. Les passages de nuit sont ceux qui marquent le plus, avec une photographie somptueuse. Le climax visuel étant le nouveau bal, qui laisse entrer dans une histoire un peu plate de la nervosité.
Rebecca est un film de deux heures qui aurait mérité de durer trente minutes de moins. Le dernier acte s'emballe, après un déroulé un peu trop barbant au milieu, où tout le monde ne manque pas de rappeler à la nouvelle femme que l'ancienne était parfaite. Un schéma répétitif, qui ne sert pas les bonnes idées que cette adaptation veut apporter par rapport à son matériau d'origine ou le film d'Hitchcock. Tout le paradoxe étant que le séjour à Manderley contient les plus fortes trouvailles visuelles, mais aussi les plus gros trous d'air rythmique.
Rebecca de Ben Wheatley, sur Netflix le 21 octobre 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.