CRITIQUE / AVIS FILM - En suivant les aventures d'une ex-star du porno remettant les pieds dans sa ville natale, Sean Baker pose encore et toujours son regard sur l'Amérique des laissés-pour-compte. Si le talent du metteur en scène se sent toujours, son nouveau film est pourtant une déception.
Make America ugly again
Pour peu que vous suiviez le cinéma indépendant américain, le nom de Sean Baker ne doit pas vous être étranger. L'auteur de Tangerine (une petite pépite tournée entièrement à l'iPhone) et de The Florida Project entrait dans la cour des grands avec une participation en Compétition officielle au 74ème Festival de Cannes. Red Rocket parle-t-il encore de cette Amérique à la marge ? C'est, semble-t-il, la promesse. Le scénario présente Simon Rex en Mikey Saber, une ancienne gloire du cinéma pornographique qui a quitté Los Angeles pour faire son retour dans sa ville natale, au Texas. Fauché et sans pied-à-terre, il va être forcé de renouer avec son ex-femme vivant avec sa mère. Alors que les habitants du coin ne sont pas enchantés par le retour d'un élément perturbateur, Mikey va peut-être obtenir la chance de prendre un nouveau départ dans sa vie.
Le cinéma de Sean Baker est habité par l'envie de filmer l'Amérique à la dérive. Celle qui galère à boucler ses fins de mois, qui survie dans d'improvisation, se contentant de maigres choses pour se réjouir (une virée dans un magasin de donuts, ici). Il est encore question de ça dans Red Rocket, avec son personnage principal qui n'a rien d'un héros. Connu dans la sphère du porno, il est désormais out de ce milieu pour des raisons obscures. Retour à la case départ, pour ce beau parleur sans le sou. Un loser à la panoplie complète, usant de tous les stratagèmes pour maintenir la tête hors de l'eau et sa réputation intacte.
Red Rocket : beaucoup de bruit pour pas grand chose
Si le cinéma sait nous émouvoir avec des perdants, ils sont en général assaillis par des forces qui les dépassent. Cependant, Mikey n'est pas un perdant magnifique. C'est davantage un homme pour lequel on peine à avoir de l'affection. Sean Baker ne fait d'ailleurs pas grand chose pour qu'on joigne son bord et c'est l'énorme limite que pose Red Rocket. Comment avoir envie de suivre pendant deux heures un personnage qui ne suscite rien d'autre que de l'antipathie ? Son compte ne s'arrange pas quand il entreprend de vivre une histoire d'amour avec une jeune fille mineure. Le film touche à quelque chose de moralement discutable et laisse son audience se débrouiller avec ça. Le scénario est, dans son ensemble, une réelle faiblesse de Red Rocket. Le film tourne en rond, ne tirant rien de très concret de sa chronique désabusée.
Le regard de Sean Baker sur l'Amérique
Reste tout de même le talent de Sean Baker pour mettre en scène l'Amérique désenchantée. Il le fait sans la moindre connotation misérabiliste qui propulserait l'entreprise vers des recoins malsains. Le réalisateur sait investir des lieux qui vont permettre d'incarner cette face du pays et trouve des gueules de cinéma pour les habiter. On adore les seconds rôles qui croisent la route de Mikey : ce voisin qui se fait passer pour un ex-soldat, la famille de ce jeune homme qui aime Strawberry, la mère de Lexi qui se laisse charmer dès qu'un peu d'argent entre sous son toit, les travailleurs de l'usine du coin. Les laissés-pour-compte méritaient sûrement mieux que ce film trop long pour pas grand chose, témoin d'une époque, certes, et en même temps incapable de se hisser sur tant de points à la hauteur des merveilles qu'étaient Tangerine et The Florida Project.
Red Rocket de Sean Baker, prochainement en salle.