CRITIQUE FILM- Le documentaire "Samouni Road" raconte l’histoire de la famille Samouni qui a subi les attaques de l’armée israélienne pendant l’opération Plomb Durci de 2009. Une famille meurtrie qui se reconstruit.
Samouni Road s’inscrit dans la lignée hybride des documentaires-animations qui marquent le spectateur, à l’instar de Valse avec Bachir, L’image manquante ou plus récemment Chris The Swiss. Le réalisateur Stefano Savona offre surtout son double regard d’archéologue et d’anthropologue en revenant sur la guerre de Gaza fin 2008- début 2009. Sur place pour rendre compte du quotidien de cette guerre qui a tué de nombreux civils, il a rencontré les survivants traumatisés de la fratrie Samouni du quartier de Zeitoun, durement touchée puisqu’elle a perdu 29 membres. Ému par leur histoire tragique, il les a écoutés, a filmé leurs témoignages et leurs lieux de vie dévastés par les attaques. Et il met très bien en parallèle leur reconstruction, qui se matérialise par le mariage de Faraj avec sa cousine Shifah, et celle de leur village.
Il y a dans ce bouleversant documentaire plusieurs niveaux de lecture, tout comme il y a plusieurs points de vue, grâce à plusieurs techniques employées. Car plusieurs histoires sont imbriquées : celle des membres de la famille de cette fratrie respectée s'est retrouvée percutée par l’histoire politique de la guerre à laquelle se livrent depuis soixante-dix ans Israël et les différents mouvements de la Palestine dans cette région du Moyen-Orient.
Témoignent ainsi les enfants des quatre frères Samouni -tous tués- dont la petite miraculée Amal, Fouad ou leur mère, la seconde épouse du défunt Ateya. On fait connaissance avec ce dernier, vénéré par sa famille, homme sage qui cultivait ses oliviers et partageait avec ses enfants les versets du Coran en leur expliquant la teneur des sourates. Car Samouni Road se révèle aussi un film puissant sur la transmission et la perpétuation des traditions familiales et religieuses.
Des séquences d'animation qui redonnent vie aux souvenirs familiaux
Et le réalisateur parvient à rendre chaque témoignage attachant, car il s’est manifestement attaché à chaque protagoniste. Pour autant, il semble avoir réussi à garder la juste distance du documentariste, empêchant le spectateur empathique de tomber dans le pathos.Et l’une des premières forces de ce documentaire, ce sont précisément les séquences d’animation, qui permettent de redonner magnifiquement corps à la mémoire des membres de la famille, avant et pendant la guerre. Pour ces images en noir et blanc, Stéfano Savona a travaillé avec Léa Mysius (réalisatrice de Ava) le scénario à partir des témoignages. Et il a fait appel à la technique d’animation très particulière de papier gratté et incisé de Simone Massi. La métaphore de la guerre, notamment par le biais des animaux est, tout comme dans Chris the Swiss, très éloquente.
Le souvenir de Ateya est minutieusement entretenu par tous les membres de la famille. Comme ses acolytes tués par l’armée israélienne en ce début janvier 2009, il est considéré comme un martyr. Ces moments où le réalisateur filme les enfants qui embrassent la photo de leur père scotchée sur le mur de la maison provoquent d’ailleurs un certain malaise. Car cette vénération comporte le risque pour sa famille de se trouver dans l’impossibilité de faire son deuil. En effet, ce paysan est une victime qui n’a pas choisi de mourir en martyr pour défendre une cause. Il ne s’était jamais revendiqué comme un combattant et, tout comme ses frères, parlait hébreu et avait travaillé en Israël. Sans compter sur le risque de récupération par les partis politiques, dont certains représentants, que l’on entend égrener au haut-parleur le noms des morts, veulent transformer en combattants post-mortem.
Mais les 29 sont morts parce qu’ils étaient des civils soupçonnés par l’armée israélienne de cacher dans leur quartier des terroristes. Et la seconde réussite de Samouni Road, c’est aussi de proposer au spectateur le point de vue de l’armée israélienne en situation de tir. Car les soldats israéliens n’ont pas seulement tué avec leurs fusils. Ils ont enfermé les membres de la famille Samouni dans une maison et se sont mépris sur leurs intentions. Le réalisateur a ainsi reconstitué en images de synthèse les images des drones, montrant la grave erreur d’appréciation qui a fait prendre au commandant la décision de tirer des missiles sur la maison. Cette scène est particulièrement glaçante car on entend les voix des soldats se mêler à celles des témoins, offrant une double vérité bien ancrée dans la réalité, tout en la maintenant connectée à nos émotions.
On regrette pourtant quelques longueurs et certains ne manqueront pas de reprocher au réalisateur de ne pas avoir apporté plus d’explications contextuelles et objectives en traitant uniquement le point de vue des palestiniens. Ces informations complémentaires sont plutôt à retrouver dans le court-métrage que Stéfano Savona a consacré à l'opération Plomb Durci, que l'on conseille d'ailleurs de voir. Samouni Road se révèle néanmoins une reconstitution mémorielle émouvante et un documentaire dense qui permet au spectateur de saisir les conséquences humaines de mauvaises décisions militaires tout en perçant l’intimité d’une famille attachante.
Samouni Road de Stefano Savona, en salles le 7 novembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.