CRITIQUE / AVIS FILM - "Seberg" avec Kristen Stewart, disponible directement sur Amazon Prime Vidéo, évoque le discrédit jeté par le FBI sur l’actrice Jean Seberg, précipitant sa chute quelques années avant sa disparition.
Jean Seberg dans le viseur du FBI
Seberg, réalisé par Benedict Andrews et co-scénarisé par le duo Joe Shrapnel et Anna Waterhouse - à qui l’on doit aussi les scénarios de Cœurs ennemis et La Couleur de la victoire - revient sur un épisode méconnu et peu reluisant du travail du FBI. Le film met ainsi en lumière la façon dont l’actrice Jean Seberg a été prise pour cible entre mai 1968 et l’été 1970 dans le cadre de l’opération de contre-espionnage américain Cointelpro (Counter Intelligence Program). Ce programme enquêtait sur les organisations politiques qui luttaient pour les droits civiques et avait pour but de perturber leurs activités.
En l’occurrence, les Black Panthers étaient dans le viseur du FBI, autant leurs militants que leurs proches, dont Jean Seberg, arrivée un peu par hasard dans la partie. Encore mariée à l’écrivain diplomate Romain Gary, elle tombe amoureuse de Hakim Jamal (Anthony Mackie), l’un des militants de l'Organisation de l'unité afro-américaine. Et c’est surtout parce qu’elle lui verse de nombreuses sommes d’argent pour contribuer à son organisation que le FBI décide de la neutraliser.
Aux yeux de l’Agence Fédérale, elle cesse d’être Jean Seberg, la jeune fille du Midwest qui a réussi, pour devenir l’objet d’une machination implacable, désignée dès lors par son seul nom, Seberg. Ce que montre très bien le film, c’est comment la cabale organisée pour calomnier la jeune femme a indéniablement nui à sa santé mentale, déjà fragile, et a annoncé les prémices de sa mort tragique. On se souvient en effet que son corps a été retrouvé dans le coffre de sa voiture en 1979 et que les circonstances de son décès n’ont jamais été élucidées, même si elle avait déjà fait plusieurs tentatives de suicide auparavant. Comme celle après que le FBI ait communiqué à la presse la fausse information de la jeune femme enceinte du fameux Hakim Jamal, qui causa la mort de sa fille deux jours après sa naissance.
Ce que réussit parfaitement Seberg, c’est la contextualisation de cette période de l’Amérique encore ségrégationniste, sur laquelle commençait à souffler un vent de libération des femmes - période si bien évoquée dans la série Mrs America. Certains choix scénaristiques sont « inspirés de l’histoire vraie », servant ainsi le propos de Seberg, tandis que certains personnages restent purement fictionnels. Ainsi, l’instigateur du complot lui-même, par les yeux duquel le spectateur empathique découvre cette odieuse manigance : l’agent Jack Solomon (Jack O’Connell), dont l’admiration grandissante, presque obsessionnelle, pour sa cible lui pose des problèmes de conscience.
Une mission fédérale vraiment "dégueulasse"
Il est influencé en ce sens par sa jeune épouse Linette (Margaret Qualey), qui lui ouvre les yeux sur l’abjection de son propre rôle, sur celui de son chef Franck Ellroy (Colm Meaney) ou sur le comportement brutal de mari et père de son collègue Carl Kowalski (Vince Vaughn). Le film ne prend clairement pas le parti de ces deux machos qui voient d’un très mauvais œil la liaison adultérine d’une femme blanche avec un homme noir et prennent un malin plaisir à la punir de sa liberté.
Mais d’autres choix de la part des auteurs de Seberg sont plus contestables car ils réécrivent délibérément l’histoire et passent sous silence certains faits, comme la violence avérée dont faisait preuve Hakim envers Jean. Ou ils créent des scènes de toutes pièces, comme l’aveu final, d’autant plus dérangeant que l’on sait que le FBI n’a admis ses mensonges à propos de l’actrice qu’après sa mort.
Quant à l’incarnation par Kristen Stewart de Jean Seberg, elle reste très crédible et permet d’aller au-delà de celle qui cherchait toujours la perfection de son reflet : une femme multiple, à la fois attachante, fantasque, mystérieuse, à fleur de peau, aventurière, ouverte d’esprit, irrévérencieuse, maternelle envers son fils Diego, mais aussi très seule, versatile, dépressive ou en mal d’amour. Par contre, on ne comprend pas pour quelles raisons le rôle de Romain Gary a été offert à Yvan Attal, dont l’absence de jeu, la barbe fournie ou les vêtements larges et les peignoirs à la frontière du ridicule ne permettent pas de croire un seul instant en l'interprétation du grand homme.
Enfin, il est bien dommage que les scénaristes et le réalisateur aient occulté à ce point le travail de l’actrice et se soient focalisés sur la femme, car si Jean Seberg évoque ses films et ses rôles avec son agent Walt Breckman (Stephen Root) ou avec son mari, on ne la voit pas assez sur ses tournages. Seberg, malgré son aspect un peu trop romancé, donne pourtant envie de revoir Jean Seberg dans ses films et permet de se rappeler qu’elle n’a pas seulement été la femme de Romain Gary, ou l'héroïne de À bout de souffle, mais bien une femme courageuse engagée politiquement dans l’histoire de son pays et qui en a largement payé les conséquences.
Seberg de Benedict Andrews, disponible sur Amazon Prime Video le 24 juillet 2020. Ci-dessus la bande-annonce.