CRITIQUE FILM – Avec « Si Beale Street pouvait parler », Barry Jenkins confirme, deux ans après Moonlight, qu’il est l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération pour filmer les rapports amoureux. Cette superbe adaptation du roman de James Baldwin réussit à nous faire vivre, avec une intensité rare, l’histoire déchirante de deux jeunes afro-américains pris au piège par les injustices d’un système judiciaire qu’ils vont combattre corps et âme, afin de retrouver leur liberté.
Après Moonlight, magnifique chronique sur l’enfance, l’adolescence et le passage à l’âge adulte, Barry Jenkins est de retour avec un long-métrage qui évoque des thématiques similaires, mais dans un tout autre contexte. Avec Si Beale Street pouvait parler, le cinéaste américain nous plonge en effet dans le Harlem des années 70, où un couple se retrouve séparé à cause d’une erreur judiciaire.
Amis depuis leur tendre enfance, Tish et Fonny ne se sont jamais quittés. Alors qu’ils s’apprêtent à prendre leur envol du nid familial, la jeune femme et le jeune homme s’avouent leur amour mutuel et décident de se marier. Leurs projets pour l’avenir volent en éclats lorsque Fonny est accusé à tort de viol et incarcéré, alors que Tish vient de tomber enceinte.
Une multitude de portraits bouleversants
L’un des éléments les plus marquants de Moonlight était l’amour et l’empathie que Barry Jenkins semblait éprouver pour ses personnages. Cette impression est décuplée dans Si Beale Street pouvait parler, et ce, dès la première scène. Face caméra, Tish et Fonny s’échangent des regards encore plus révélateurs que leurs paroles. Sous un soleil couchant, le couple semble à l’abri d’une réalité qui va pourtant les écraser progressivement.
Ce premier face-à-face contraste en effet avec les visites de Tish au parloir, où Fonny apparaît de plus en plus épuisé et désabusé à mesure que le film avance. En alternant ces passages profondément douloureux avec les premiers moments idylliques de leur vie de couple, Barry Jenkins nous fait comprendre l’enfer que le jeune homme vit derrière les barreaux, sans jamais nous immerger dans la prison.
Le réalisateur préfère se focaliser sur un flashback durant lequel Fonny discute avec un ami, interprété par Brian Tyree Henry, qui vient de purger sa peine au moment de leurs retrouvailles. Là encore, la douleur contenue dans le regard du comédien en dit énormément sur le traumatisme que son personnage a subi, et que devra par la suite surmonter par Fonny.
Barry Jenkins est doté d’un véritable talent pour mettre en avant les émotions qui traversent ses personnages en les filmant frontalement, sans que ses effets ne soient jamais trop appuyés. C’est également le cas lorsque Tish et Fonny passent leur première nuit ensemble, où l’appréhension mêlée à un amour inconditionnel est plus que palpable chez l’héroïne, grâce à un sublime plan suspendu juste au-dessus de leur lit. Il en va de même avec les plans sur le visage de la victime de viol ou ceux sur le policier à l’origine de l’arrestation de Fonny, durant lesquels leur nature et leur état sont révélés en quelques secondes.
Avec ce procédé qui reste très longtemps en mémoire après le visionnage du film, Barry Jenkins parvient à faire le portrait d’une multitude de protagonistes. La douleur que contient le film, exprimée de manière aussi douce que dans un morceau de blues, passe donc énormément à travers leurs visages, au même titre que l’envie de résister et d’être ensemble qui anime Tish et Fonny.
Une ode à la liberté et à la résilience
Rares sont les films où l’envie du spectateur de voir deux personnages amoureux se retrouver est aussi forte qu’avec Si Beale Street pouvait parler. Les multiples flashbacks y sont pour beaucoup, puisqu’ils dévoilent progressivement la manière dont l’injustice et le racisme viennent heurter et séparer le couple. Lorsque les raisons pour lesquelles Fonny est incarcéré sont révélées, l’empathie envers lui et ses proches est totale, puisque leur bienveillance a déjà été largement dévoilée.
Dans le dernier acte du film, Barry Jenkins accélère le rythme alors que les personnages se mobilisent activement pour tenter d’innocenter et de faire libérer le jeune homme. Malgré un système judiciaire gangréné, rien ne semble arrêter Tish et sa famille. Le réalisateur s’attarde à merveille sur leur résilience et leur dévouement. Cela peut passer par une ligne de dialogue bourrée d’espoir, par les combines que les pères des deux jeunes mettent en place pour trouver de l’argent ou par le voyage qu’effectue la mère de Tish incarnée par Regina King, habitée par une force tranquille, pour rencontrer la victime de viol.
La mise en avant de leur force inébranlable, de leur manière de combattre sans jamais s’apitoyer, renforce le sous-texte politique du film avec une subtilité et une élégance rares. Sans cesse sublimés par des ralentis qui s’accordent parfaitement avec la partition lancinante de Nicholas Britell et par des mouvements de caméra extrêmement gracieux, les personnages de Si Beale Street pouvait parler font preuve d’une bonté bouleversante dans une société qui n’en a aucune envers eux. Leur implication et leurs efforts rendent la sublime conclusion, au cours de laquelle Kiki Layne et Stephan James témoignent sans s’échanger un mot des ravages du temps qui passe et de leur jeunesse révolue, encore plus terrassante.
Si Beale Street pouvait parler de Barry Jenkins, au cinéma le 30 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.