CRITIQUE / AVIS FILM - Présenté au Festival de Cannes ce vendredi 24 mai, "Sibyl" marque les retrouvailles entre Justine Triet et Virginie Efira, trois ans après "Victoria". Avec cette comédie dramatique, la réalisatrice présente à nouveau la quête de sérénité d’une héroïne qui voit de douloureux souvenirs resurgir. Porté par une formidable comédienne, le long-métrage est moins léger que son prédécesseur, mais tout aussi abouti dans le traitement de son personnage principal.
Deuxième collaboration entre Justine Triet et Virginie Efira après l’excellent Victoria, Sibyl évoque à nouveau une période de remise en question dans la vie d'une femme. Après avoir incarné une avocate, la comédienne prête ici ses traits à une psychanalyste qui décide de revenir à sa première passion, la littérature. Alors qu’elle tente de se plonger dans l’écriture d’un nouveau roman, Sibyl est contactée par Margot, une comédienne totalement désemparée. Après avoir accepté une consultation, la psychanalyste apprend que la jeune femme attend un enfant du partenaire avec lequel elle tourne un film sur l’île de Stromboli, qui n’est autre que le compagnon de la réalisatrice.
Une héroïne à l’écoute de tout, sauf d’elle-même
Le premier élément marquant à la sortie de Sibyl est la composition de Virginie Efira qui rappelle, une nouvelle fois, qu’elle est l’une des comédiennes les plus précieuses du cinéma français actuel. Si les personnages secondaires occupent une place plus importante que ceux de Victoria, hormis celui incarné par Vincent Lacoste, Justine Triet n’hésite pas à les mettre en retrait, les faisant évoluer en fonction du regard que la psychanalyste porte sur eux.
Dévouée et capable d’ignorer ses propres émotions pour éponger celles des autres, Sibyl voit de nombreux souvenirs douloureux refaire surface après sa rencontre avec Margot. À mesure que la jeune actrice révèle son mal-être à l’héroïne, cette dernière voit des sentiments et des regrets enfouis resurgir, que Justine Triet évoque à travers des flashbacks, ce qui rend la narration parfois décousue mais suscite en revanche toujours de nouvelles interrogations chez le spectateur. Le deuil d’une mère, l’absence d’un père pour son enfant, une histoire amoureuse terminée soudainement… Tous ces moments de vie et étapes qu’elle a tenté de mettre de côté, Sibyl les reprend de plein fouet lorsqu'elle commence à échanger avec Margot.
Difficile de trouver l’apaisement lorsque certains chapitres ne sont pas totalement refermés. Tiraillée entre l’envie de replonger dans ses travers et celle d’aider les autres, en toute pudeur et dignité, Sibyl rappelle en cela énormément Victoria, deux rôles qui semblent avoir été conçus pour Virginie Efira. L’implication de la comédienne est totale. Qu’elle s’effondre ivre après avoir improvisé un karaoké, qu’elle aide un enfant à accepter la mort de sa mère ou qu’elle tente de préserver une jeune femme mal entourée, l’actrice irradie chaque plan du long-métrage.
Panique sur l’île de Stromboli
Roberto Rossellini l’a déjà expliqué en 1950, les histoires d’amour finissent généralement mal sur l’île de Stromboli. Le véritable point de bascule pour le personnage de Sibyl n’est pas sa rencontre avec Margot, qui va au contraire lui redonner l’inspiration, mais son arrivée sur le tournage près du volcan en activité, qui va lui faire perdre tous ses repères. Dans un milieu propice à la manipulation et aux tromperies, la psychanalyste se retrouve à devoir faire le pivot au sein d’un triangle amoureux aussi drôle que pathétique.
Face aux coups de sang de Margot interprétée par Adèle Exarchopoulos, au regard séducteur de son partenaire incarné par Gaspard Ulliel et à l’attitude particulièrement froide de la réalisatrice campée par Sandra Hüller, le personnage campé par Virginie Efira ne sait plus où donner de la tête. À l’image de l’environnement dans lequel ils se trouvent, les relations entre les deux comédiens et la cinéaste s’effritent et s’embrasent, au point de provoquer une rupture chez Sibyl.
Si les séquences du tournage sont probablement les plus drôles du film, elles sont également les plus éprouvantes pour l’héroïne. Après s’être retrouvée seule sur l'île, la psychanalyste n’aura plus qu’un choix pour se libérer, celui de tirer un trait définitif sur son passé. Ce chemin universel, Justine Triet parvient à l’évoquer en construisant ce superbe personnage qui, comme Victoria avant lui, s’extrait du chaos avec une grâce bouleversante. La sérénité réapparaît d’ailleurs furtivement dans la conclusion magistrale, qui laisse l’agréable sentiment que le meilleur reste à venir pour Sibyl, et qu’il revient désormais au spectateur d’imaginer la suite pour elle.
Sibyl de Justine Triet, en salle le 24 mai 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.