CRITIQUE FILM - "Sofia", film franco-qatarien-marocain, qui retrace les périples d’une jeune fille marocaine dans son déni de grossesse.
Le film Sofia donne à voir une promesse d’une œuvre qui interroge la société marocaine, ainsi que sa culture. Ce film s’avère tout à fait cohérent, profond et juste dans son écriture et sa mise en scène. Mais un twist final remet en cause tout le film et rend celui-ci en fin de compte très déstabilisant.
Sofia, 20 ans, est une jeune fille discrète, elle vit chez ses parents à Casablanca. Lors d’un repas de famille, elle est prise d’un mal de ventre. Sa cousine, Lena, étudiante en médecine, se rend compte qu’elle est enceinte, elle comprend la situation et entreprend de l’aider. Mais à l’hôpital, n’ayant pas de papier et ne pouvant présenter ceux du mari, les deux femmes se retrouvent dans l’obligation de prendre contact avec ce dernier pour lui demander de reconnaître l’enfant.
Une belle promesse
Le film entre tout de suite dans le sujet, la situation montre d’emblée l’incohérence et l’absurdité de la société, ainsi que le poids de la culture sur les femmes. Le film de manière très juste montre que les mots amour et sexualité sont tabou, presque refouler. Le déni de grossesse en est la parfaite image. Cette jeune fille nie inconsciemment cet enfant de peur de la réaction de ses parents.
Dans cette crise le regard d’autrui et la réputation passent de très loin devant le bien-être des personnes, y compris des plus jeunes. La réalisatrice montre ainsi, avec beaucoup de justesse et de talent, la violence silencieuse que peut véhiculer une culture.
Des personnages très fort chacun porteur d’une vérité
Dans ce film, les personnages sont également très bien soignés, ils sont chacun porteur d’une vérité, et aucune d’entre elles n’a plus de valeurs que celle de l’autre.
Ainsi, Sofia est une jeune fille encore innocente, mais elle est aussi très vite dépassée et presque écrasée par une logique absurde, où sa parole n’a que peu de poids.
Elle est aidée par Lena, jeune femme plus âgée qui connaît plus la vie et dont la position sociale lui donne plus de discernement et une lucidité sur sa société. Elle peut ainsi dire ce que Sofia ne parvient pas à exprimer, s’opposer et poser les vraies questions. Lena peut même mettre les parents devant leurs propres incohérences. Les parents respectifs représentent aussi la complexité de la question. Ils savent d’autant mieux les réalités de leur société et de leur position dans celle-ci. Tout comme Sofia, le jeune garçon est pris dans la situation où sa parole n’a que peut d’importance, il ne peut que la subir.
Et soudain, c’est le drame
Au sortir de la salle obscure, au détour d’un couloir, votre humble serviteur surprend la conversation d’autres spectateurs. L’un d’eux avouait être mitigé et confiait « N’avoir pas tout compris ». Et pour votre critique, c’est bien là tout le problème, ce film laisse son spectateur avec un sentiment d’incompréhension.
En effet, jusqu’au trois-quarts du film, tout est très bon, tout fonctionne, le message est fort intéressant, il est servi par une histoire qui le sert parfaitement, et conduit par des personnages très justes et cohérents. Jusqu’au moment où intervient un twist, sous forme de révélation. Celui-ci remet en cause l’histoire et le rapport des personnages entre eux. Mais il est très problématique, car il remet aussi en cause le personnage de Sofia.
Tout ce qui nous avait été donné jusqu’à ce moment-là peut être reconsidéré. En fin de compte, tout ce qui avait été donné au spectateur quant à la personnalité de Sofia se révèle faux ? Ce twist change radicalement le caractère de Sofia. Ça ne marche pas ! Ainsi, pour certains spectateurs, cela ne fonctionne pas, car ce n’est pas cohérent avec le personnage qui avait été présenté jusqu’à présent.
De plus, cette révélation ne sert pas plus que cela le propos du film, il l’alourdit et le complexifie. Bref, cette révélation finale n’apporte pas du tout l’effet attendu, ne sert pas davantage le propos, qui était déjà très riche. Et il déstabilise plus qu’autre chose, alors que tout le reste du film était très réussi.
Ainsi, Sofia s’avère une vraie interrogation et pourra nourrir certains débats sur l’art du scénario. Il demeure dans son ensemble un film très réussi.
Sofia de Meryem Benm'Barek, en salle le 5 septembre 2018. Ci-dessus la bande annonce.