CRITIQUE / AVIS FILM - Après avoir œuvré comme scénariste et romancier, et réalisé son premier long-métrage "Bluebird", revoilà déjà Jérémie Guez avec son second film, "Sons of Philadelphia", un film noir tourné aux Etats-Unis et porté par Matthias Schoenaerts.
L'omniprésent Jérémie Guez
Bien qu’il n’ait que 32 ans, Jérémie Guez a déjà vu son nom apparaître de nombreuses fois dans le cinéma français. Déjà en 2014 il participait à l’écriture de Yves Saint Laurent de Jalil Lespert. Il collabora d’ailleurs à nouveau avec ce dernier deux ans plus tard sur Iris (2016). Mais c’est surtout en 2018, en étant crédité aux scénarios de plusieurs films de genre, qu’il se révèle véritablement : Burn Out de Yann Gozlan, La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher et Lukas puis La Terre et le sang (2020) de Julien Leclerq. Jérémie Guez est un scénariste (et romancier) prolifique qui n’a pas attendu longtemps avant de passer à son tour derrière la caméra.
Il réalise, toujours en 2018, son premier long-métrage Bluebird (sorti en France en VOD en juin 2020) et montre là encore un sérieux potentiel. La confirmation était donc attendue avec Sons of Philadelphia, polar noir tourné aux Etats-Unis, en langue anglaise et avec, à l’exception de Matthias Schoenaerts, un casting américain. A l’évidence, le garçon n’a pas de temps à perdre et compte bien aller, au plus vite, boxer dans la cours des grands. Et c’est tant mieux !
Un film noir mélancolique et minimaliste
Il ne faut pas longtemps devant Sons of Philadelphia pour comprendre que Jérémie Guez maîtrise le langage du film noir. Plan resserré sur Matthias Schoenaerts, le visage fermé, en pleine nuit, écoutant à peine ce qui se trame à côté de lui. Deux hommes discutent autour d’une histoire de proctologie pendant que Shoenaerts s’approche dangereusement du bord. Puis, soudain, il saute ! Un saut dans le vide qui traduit le désir de Peter d’en finir au plus vite. Non pas avec la vie, mais avec le milieu de gangsters imposé par son cousin Michael (Joel Kinnaman), présent dans cette première scène. Sauf qu’à l’arrivée, c’est sur un gros bloc de terre qu’il tombe. Comme pour prévenir que la descente sera longue et douloureuse, et qu’il n'aura pas d'échappatoire car son destin est déjà tracé.
En dépit de la carrure imposante des deux acteurs, Jérémie Guez ne règle pas cette opposition par un combat physique. Là où il surprend, c’est en induisant une domination psychologique de Michael sur Peter. Car ce dernier a beau essayer de convaincre son cousin de ne pas se lancer dans une vendetta contre les Italiens, affichant son refus de participer à toutes ces affaires, il ne parvient jamais vraiment à intervenir, à être dans l’action et à maintenir son opposition.
A ce niveau, autant dans la mise en scène presque minimaliste de Jérémie Guez que dans l’écriture de ses personnages, on retrouve quelque chose de Quand vient la nuit de Michaël R. Roskam. Dedans, c’est Tom Hardy qui jouait un homme solitaire et mutique, passif même face aux provocations de… Matthias Schoenaerts ! Pour l’acteur belge, les rôles s’inversent donc dans Sons of Philadelphia et il se montre toujours aussi convaincant. N’affichant pas de sautes d’humeur, mais plutôt des touches de douceur - auprès de la seule femme de cet univers -, son explosion inévitable n’en sera que plus marquante.
Par lui, c’est même une certaine mélancolie qui se dégage du film. La mélancolie d’un homme qui voudrait échapper à son destin, mais ne pourra rien faire face à un cycle de vengeance établie dès son enfance. Ainsi, sans révolutionner le genre, Jérémie Guez offre avec Sons of Philadelphia un pur polar à l’américaine amplement maîtrisé. On regrettera forcément qu’en restant fidèle au genre il réduise son unique personnage féminin, interprété par Maika Monroe, à un rôle extrêmement secondaire. Néanmoins, la fragilité ambiante qu’il a su imposer, en cohérence totale avec son héros en péril, fait de Sons of Philadelphia une belle réussite pour un réalisateur français décidément talentueux.
Sons of Philadelphia de Jérémie Guez, en salle le 26 mai 2021. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film était présenté au 46e festival de Deauville.