CRITIQUE/AVIS FILM - Le dispositif est minimal mais le spectacle est grandiose dans "Soudain seuls", survival et drame amoureux sublimé par les grandes performances de Mélanie Thierry et Gilles Lellouche.
Soudain seuls, un double survival
En adaptant librement le roman éponyme d'Isabelle Autissier, Thomas Bidegain et sa co-scénariste Valentine Monteil portent à l'écran une grande histoire de survie. Dans Soudain seuls, ils emmènent Ben (Gilles Lellouche) et Laura (Mélanie Thierry), en couple depuis cinq ans, au bout du monde. Plus précisément, alors qu'ils doivent faire une étape en Amérique du Sud dans leur tour du monde à la voile, ils décident de s'arrêter sur une île sauvage, pas très loin des côtes antarctiques.
Le décor est fantastique, la nature y est là dans toute sa majesté et sa démesure. Mais au lendemain d'une nuit de tempête, Ben et Laura, qui ont préféré dormir à terre le temps que le vent et les vagues se calment, ne retrouvent plus leur voilier. Sans réseau, sans matériel, ils se retrouvent ainsi face aux éléments sur cette île déserte et hostile, au début de l'hiver. Ils se retrouvent aussi seuls, face à eux-mêmes. Vont-ils survivre ? Et vont-ils survivre ensemble ?
Un grand spectacle universel et intime
L'ambition du scénariste fétiche de Jacques Audiard pour son deuxième long-métrage est évidente : raconter une histoire d'amour, un drame intime, dans un format de cinéma populaire spectaculaire : le genre du survival. Avec uniquement deux acteurs au casting, Gilles Lellouche et Mélanie Thierry, il met en scène une lutte pour survivre dans un des endroits les plus hostiles au monde. La photographie de Nicolas Loir est très belle, toute en couleurs froides et cassantes, pour un résultat très organique : à le voir on croirait sentir la rugosité de la roche, le froid transperçant de la mer et du vent.
Pour survivre, Ben et Laura s'abritent dans un ancien petit port baleinier, et bricolent ce qu'ils peuvent. Du feu, de quoi récupérer de l'eau, un harpon de fortune. Sans aucun moyen de communication, ils doivent tout reconstruire, repartir de zéro, pour espérer survivre à l'hiver et qu'enfin des secours arrivent. Mais si finalement ils parviennent assez facilement à trouver de quoi se nourrir, c'est l'éclatement de leur couple qui se révèle être la plus grande menace. Leur amour est-il assez fort pour surmonter cette épreuve ? Ont-ils plus de chances de survivre ensemble ou seuls ?
D'un côté, Thomas Bidegain réussit une narration et une mise en scène en tension, et se saisit des codes dramatiques du survival avec brio. De l'autre, et c'est le plus intéressant, il raconte avec deux comédiens au sommet de leur art une histoire d'amour émouvante, où un homme et une femme complètement mis à nu doivent se retrouver.
Deux grands portraits
Ils ne sont que deux au casting, et ils forment un duo. L'enjeu est donc fondamental, puisque pour croire à cette histoire il faut croire en ses personnages, et à l'authenticité de leur performance. C'est sur ce point qu'on reconnaît chez Thomas Bidegain le réalisateur ce qu'il a créé auparavant avec Jacques Audiard : une vue tragique, empathique et intelligente sur la condition humaine.
Chez Jacques Audiard Thomas Bidegain a souvent écrit des personnages masculins qui chutent, qui se cassent, qui s'avancent et se dénudent à mesure qu'ils se heurtent à leur propre monde, ce qu'il a d'ailleurs encore fait récemment avec Élias Belkeddar pour Omar la fraise. Ici, pour son propre film, il confie ainsi à Gilles Lellouche ce rôle complexe de celui qui chute, qui n'assume pas tout, et qui transmet alors son destin à la femme qui, peut-être, ne l'aime plus.
On a rarement vu l'acteur aussi bien exploité, lui dont le physique, l'allure à la fois convaincante et rassurante ont longtemps suffi à l'imposer. Dans Soudain seuls, il est tout aussi fort mais cette force ne sert à rien. Alors cette force, cette virilité s'amenuise et disparaît à mesure que l'espoir s'étiole. Ben souffre et Gilles Lellouche transmet parfaitement cette solitude et cette perdition.
Très performant, Gilles Lellouche réussit parfaitement son personnage tout en laissant toute la place à Mélanie Thierry. Celle-ci, dont la remarquable présence physique a toujours été une grâce si froide qu'elle en brûle, un subtil équilibre entre fragilité et détermination, livre dans le film de Thomas Bidegain une performance elle aussi exemplaire d'investissement physique et émotionnel.
Mélanie Thierry et Gilles Lellouche au sommet
Que ce soit dans leurs dialogues, d'un naturel idéal, que dans leurs silences et leurs regards, magnifiés par la photographie de Nicolas Loir, Mélanie Thierry et Gilles Lellouche sont captivants, et à la justesse de leur jeu répond celle de la mise en scène du réalisateur, toujours à la bonne distance, sous la bonne lumière, maniant avec précision les différentes mesures de son Soudain seuls : du survival physique on passe au survival psychologique, avec une fluidité remarquable, sans perdre un seul instant la sensation d'une immersion totale dans le double drame qui se joue. Et pour apporter la dernière touche au spectacle de cette bouleversante histoire, c'est Raphaël qui a composé la bande originale, parfaitement dans le thème.
Soudain seuls est ainsi une réussite éclatante, dans toutes ses dimensions. Saisissant de la première image à la dernière, sa maîtrise est telle qu'on pourrait presque regretter que Thomas Bidegain n'ait pas osé le pas de côté, les fulgurances qui parsèment l'oeuvre que Jacques Audiard partage avec lui. Une explosion de violence, ici, une échappée onirique là... Comme si la grande catharsis qui sous-tend tout Soudain seuls grondait sous la surface et que le réalisateur la retenait par pudeur. Mais il fait déjà tant avec seulement deux comédiens, une île déserte et un ciel menaçant, qu'on ne peut que tirer son chapeau à ce thriller ultra-divertissant et aussi jolie et performante métaphore de l'amour dans un couple.
Soudain seuls de Thomas Bidegain, en salles le 6 décembre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.