CRITIQUE / AVIS FILM - Christopher Nolan revient avec "Tenet" à une nouvelle œuvre spectaculaire et complexe. Un film d'espionnage où John David Washington et Robert Pattinson doivent sauver le monde d'un danger lié au temps. Critique SANS SPOILER mais qui présente les grandes lignes de l'intrigue.
Tenet, un James Bond face au temps
Depuis un peu plus de dix ans maintenant (The Dark Knight, 2008) chaque nouveau film de Christopher Nolan est un événement. A chaque fois, le cinéaste britannique a su varier les genres et surprendre son audience au travers de nouveaux concepts. Mais, cette année, l’attente autour de Tenet est peut-être plus forte que jamais. Car avec une pandémie de Covid-19 qui a eu un impact sur les productions cinématographiques, mettant directement à mal les salles, Tenet, en dépit de plusieurs reports, se voit positionné comme le sauveur du cinéma. Le film qui fera revenir le public en masse (ce qu'on espère). Une belle symbolique tant Christopher Nolan incarne l’union possible entre le grand public et le public cinéphile.
Pour cela, Nolan propose cette fois un film d’espionnage quasiment à l’ancienne avec des clichés volontaires. En effet, il est ici question d’un agent de la CIA (John David Washington) informé que le monde est en danger à cause de Sator (Kenneth Branagh), un riche russe, trafiquant d’armes, marié à Kat (Elizabeth Debicki), une grande blonde typique des héroïnes hitchcockienne. D’ailleurs, de ce point de vue, Elizabeth Debicki excelle. Charismatique et d’une présence indéniable - on notera l’audace de mettre en valeur le mètre quatre-vingt-dix de l'actrice face à un John David Washington de « seulement » 1,75 m -, la comédienne porte en elle tout le tragique du film. L’agent va donc se rapprocher d’elle pour pouvoir rencontrer Sator, et tout semble se dérouler dans la pure tradition des James Bond.
Sauf que le cinéaste ajoute un élément : ici, le danger vient du temps. Ou plutôt, d’objets et de personnes disposant d'une entropie inversée. Concrètement, cela nécessite de prendre un point de vue inverse sur les choses ; lâchez un objet, et il tombe. En inversion, il revient dans votre main. Une science pour le moins complexe de prime abord, qui devient de plus en plus concrète au fil du long-métrage - et pourra rappeler Déjà vu de Tony Scott. Mais au fond, le pourquoi du comment n’a pas vraiment d’importance. Comme le dit justement l’une des protagonistes au héros, il ne faut pas chercher à comprendre, il faut accepter ce constat. En cela, Christopher Nolan assume pleinement l’utilisation d’un MacGuffin à la Hitchcock – un prétexte pur et simple pour le développement du scénario, ou dans le cas de Nolan, pour des propositions de mise en scène qui en font un film parfait pour le grand écran.
Un film somme pour Nolan
Dès lors, le réalisateur prouve qu’il n’a pas besoin de filmer des combats titanesques avec des explosions en pagaille et des destructions massives pour faire dans le spectaculaire. Comme c’était déjà le cas avec sa trilogie Batman, Nolan reste centré sur l’humain dans Tenet et parvient toujours à en tirer du sensationnel. Sous sa houlette, la « simple » escalade d’un immeuble à l’aide d’un élastique (annonce de l’inversion en cours) ou l’intervention armée dans une salle d'opéra prise en otage (une séquence superbe) deviennent des événements capables de nous scotcher au siège. Le clou du spectacle étant atteint dans la dernière demi-heure pour une véritable explosion de créativité obtenue par ce fameux temps inversé.
Par des indices dissimulés dans le film, Christopher Nolan fait donc référence au Carré Sator, formé par le palindrome latin SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Une fois le concept assimilé, la fascination prend le dessus tandis que Nolan récite son cinéma pour questionner, en sous-texte, celui du Hollywood actuel - constamment tourné vers le passé (remakes, reboots, etc) plutôt que de chercher à se renouveler en regardant vers l'avant. D'où ces clichés volontaires, jusque dans le montage parfois sur-découpé. De plus, bien que moins personnel dans son traitement du personnage principal, il trouve tout de même une entrée vers l’émotion de manière subtile, que ce soit par la vie dépeinte de Kat ou l’évolution de Neil (Robert Pattinson, excellent en homme d’action / alter ego de Nolan). Et si avec The Dark Knight il piochait chez John Ford ou Michael Mann, on retrouve dans Tenet des référence à une période classique hollywoodienne, tout en sentant le réalisateur toujours attentif à son époque dont il se fait le premier critique.
Dès lors, sous ses airs de pur et « simple » blockbuster, Tenet est peut-être le film de Nolan le plus abouti, réunissant ses différentes obsessions ; présence terroriste, fin du monde annoncée, rappel écologique, génération future face aux pères (et grands-pères), place d’un protagoniste dans une histoire, désir d'un parent de retrouver son enfant et surtout questionnement profond sur le cinéma. Un film somme qui, s’il ne marque pas les esprits dans l’immédiat autant qu'Inception ou Interstellar, profitera assurément de la postérité et de multiples visionnages qui permettront à Tenet de révéler tous ses secrets.
Tenet de Christopher Nolan, en salle le 26 août 2020. Ci-dessus la bande-annonce.