CRITIQUE / AVIS FILM - Steven Spielberg explore son passé et raconte ses tourments familiaux ainsi que la naissance de sa vocation avec "The Fabelmans". Un grand film empli d'une pudeur bouleversante, à travers lequel le cinéaste se dévoile comme jamais auparavant.
The Fabelmans : naissance d'une passion
Le nouveau film de Steven Spielberg débute dans le New Jersey, en janvier 1952. Alors qu'il s'apprête à assister à sa première séance de cinéma, le petit Sammy Fabelman est inquiet. Mais face au tragique accident de train de Sous le plus grand chapiteau du monde, la fascination l'emporte sur la peur. Dans la foulée, ses parents Mitzi (Michelle Williams) et Burt (Paul Dano) lui offrent un circuit miniature, ce qui permet au jeune garçon de reproduire la fameuse séquence, et donc de s'essayer à la réalisation.
Au fil des ans, Sammy grandit, enchaîne les courts-métrages en faisant participer sa famille et ses amis. Dans ces projets qui ne manquent déjà pas d'ambition, Steven Spielberg s'amuse à reprendre des éléments iconiques de son cinéma, sans pour autant tomber dans la compilation de séquences clins d'oeil.
L'émerveillement du spectateur qu'il est devient peu à peu celui du metteur en scène que l'on connaît. En tournant des films de guerre et d'aventure façon Les Aventuriers de l'arche perdue et Il faut sauver le soldat Ryan, il découvre les astuces du métier pour créer un véritable spectacle. Lorsqu'il réalise un projet pour sa classe de lycée, il comprend le pouvoir de manipulation des images, réussissant à rendre beau, attirant et presque sympathique un adolescent qui aime s'en prendre à lui.
Douleur et joie
The Fabelmans n'est pas qu'une simple lettre d'amour au cinéma. La vocation de Sammy est certes source de joie, mais elle est également révélatrice de secrets douloureux et lui réclame de nombreux sacrifices. C'est à travers ses images que l'adolescent assiste au délitement de sa famille et prend conscience des véritables désirs de sa mère, coincée dans un mariage et un quotidien qu'elle ne supporte plus.
Après les fabuleuses premières minutes magnifiées par la photographie de Janusz Kaminski, les scènes les plus touchantes de The Fabelmans sont celles qui captent le désespoir dans les yeux de Michelle Williams, pianiste ayant renoncé et faisant tout pour dissimuler sa peine. La comédienne est une nouvelle fois excellente, notamment au cours d'une dispute poignante avec son fils qui résume à merveille la complexité de leur relation. À cela s'ajoute un merveilleux passage où Mitzi danse devant la caméra de Sammy et sous le regard aimant de son époux silencieux. Un moment d'apaisement avec lequel Steven Spielberg revient aux sources du septième art, activité foraine qui sublime le réel.
Cette relation pousse aussi Sammy à aller au bout de ses envies et à emprunter une voie différente. Comme le lui dit son grand-oncle Boris (Judd Hirsch) au cours d'une apparition brève mais géniale, l'art n'est pas un jeu mais un exercice dangereux, qui exige énormément et met celui ou celle qui s'y essaie face à des dilemmes cornéliens. Un personnage qui, associé à son père Burt et à Mitzi, synthétise le rapport à l'art, capable d'écraser mais pouvant également être considéré comme quelque chose de futile ou d'inatteignable.
Une pudeur bouleversante
Que faut-il donc choisir entre la solitude et le dévouement à une famille torturée, entre le drame et la légèreté, entre l'idéalisme et la résignation ? Ce sont ces questionnements, qui n'ont probablement cessé de le tourmenter au cours de ses cinquante ans de carrière, que Steven Spielberg met en avant dans ce nouveau grand long-métrage.
Et si le fait de retrouver les adolescents chevauchant leur vélo d'E.T. l'extra-terrestre peut donner l'impression que le cinéaste n'a rien perdu de sa supposée âme d'enfant, la tristesse s'est rarement autant fait sentir dans l'une de ses œuvres depuis La Guerre des mondes et Munich. Une tristesse sur laquelle il semble ne pas vouloir s'attarder et qu'il traite avec pudeur, refusant probablement de tomber dans une introspection complaisante.
Quoi qu'il en soit, et comme c'était récemment le cas dans Pentagon Papers et Ready Player One, la passion finit par l'emporter et par faire oublier - ou du moins accepter - les souffrances. C'est ce que laisse penser un dernier mouvement de caméra, avec lequel il s'offre une ultime touche de légèreté et refuse la fatalité comme il l'a toujours fait, avec une maîtrise hallucinante. The Fabelmans est un geste qui mérite d'être pleinement digéré pour en apprécier toute la profondeur et la mesure phénoménale.
The Fabelmans de Steven Spielberg, en salles le 22 février 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.