CRITIQUE FILM - Coup de lancement réussi en 2019 pour Jason Reitman, qui réunit dans "The Front Runner" le parfait équilibre entre le biopic - dans ce qu'il y a de plus classique - et une proposition de cinéma audacieuse. Et c'est aussi grâce à un casting impeccable, mené de front par un Hugh Jackman incarné et l'impériale Verga Farmiga.
Quelle étrange (mais bonne) surprise. Il ne faut jamais se méprendre : Jason Reitman n'est plus, depuis bien longtemps, un cinéaste en quête d'identité. Révélé par le touchant Juno, sorti en 2007, le réalisateur a su maintenir une régularité exemplaire. En enchaînant les "petits" films (Last Days of Summer, Tully) pour autant appréciés par un public qui lui est désormais fidèle. À l'image, par exemple, d'un Mark Webb ou plus audacieux encore, d'un Gregg Araki, Jason Reitman fait désormais partie du club des auteurs populaires mais auprès d'une certaine poignée de spectateurs. C'est dire, son nouveau film, The Front Runner, est à la fois l'un de ses plus aboutis, mais aussi celui (et c'est malheureux) qui pourrait le moins fonctionner en salle.
Il s'agit de savoir pourquoi. La réponse est simple : qui est le sénateur américain et démocrate Gary Hart ? Ce n'est pas une évidence pour tout le monde. Reitman le sait et tente, en près de heures, de filmer au plus près de son apogée (il a frôler les présidentielles en 1988) et surtout de sa chute. On vous rassure, c'est passionnant.
Dans l'ombre d'Alan J. Pakula
Il est rare, de nos jours, d'assumer un biopic sur une personnalité politique d'un temps révolu. Si des figures, comme Abraham Lincoln ou encore Churchill, demeurent inaltérables et fascinent encore, ce n'est pas forcément le cas d'un quelconque sénateur américain célèbre à l'orée des années 90. Malgré tout, Reitman a tout fait pour qu'on s'y intéresse, en métamorphosant son film, pour quelques scènes, en un thriller palpitant."C’était une période où le sol s’est dérobé sous les pieds de tout le monde. Tout a changé très rapidement, et après cela le monde a été différent" a confié le réalisateur.
Monté au cordeau, The Front Runner profite d'un background gourmand en tant que "polar politique". Des références parsèment le film, dans le fond comme dans la forme. D'abord, une scène d'espionnage à la jumelle ramène au choc de 1976 Les Hommes du Président, d'Alan J. Pakula ; vient ensuite un autre film du même réalisateur, À cause d'un assassinat, que The Front Runner cite avec intelligence. Tous ces longs métrages qui font office de piliers, pour Reitman et son directeur de la photographie, le remarquable Éric Steelberg.
Le grain de l'image, visible à l'oeil nu, retranscrit dans toute sa splendeur l'époque charnière des années 90 : le temps du fleurissement médiatique et des scandales. Tous plus destructeurs les uns que les autres.
Gary Hart, dont le rôle est endossé sans faute par Hugh Jackman est un personnage au fort contraste. En pleine campagne présidentielle, alors qu'il gravit les échelons pour atteindre la Maison Blanche, le destin le rattrape. La presse dévoile sa liaison avec l'auteure Donna Rice... Et c'est ainsi que la chute commence, sans pitié. S'enchaînent dans la deuxième partie du film, beaucoup plus soutenue, de rudes épreuves. Affronter l'opinion publique, d'abord, mais surtout faire face à la honte d'avoir trompé sa femme, jouée tout en sensibilité par Vera Farmiga (la saga The Conjuring).
Hart est définitivement un homme politique... mort. Et finalement, on ne peut pas le plaindre. Jason Reitman ne joue jamais la carte du pathos, bien au contraire. En gardant sa caméra suffisamment à distance, il filme le déclin comme une fatalité. La différence, notamment avec Les Hommes du Président, qui anglait son propos du point de vue de Carl Bernstein et Bob Woodward du Washington Post, est telle que The Front Runner aborde davantage les coulisses d'une vie politique. Le film est avant tout le portrait objectif d'un politicien dont l'erreur (qu'il rappelle comme étant "humaine" et c'est à discuter) a gâché une partie de sa carrière.
Le vertige de la mise en scène
En définitive, The Front Runner n'est ni un film élogieux, ni un brûlot concernant le journalisme. L'ouverture du film, tournée en plan-séquence, retranscrit magistralement le stress du direct, mais ce n'est pas ce que Reitman veut nous montrer en premier. La caméra s'envole et zoome progressivement sur un immeuble, jusqu'à une vitre... Où l'on découvre toute l'équipe de campagne de Gary Hart. Nous voilà désormais plongés au coeur du sujet. Dans la réalité hallucinante d'une course présidentielle, tout va très vite et la moindre erreur peut faire la une des journaux nationaux.
Plus tard, le film nous propulse au beau milieu d'une réunion éditoriale, ou le génial J.K Simmons donne la réplique au trop rare Alfred Molina (qui joue d'ailleurs le rôle du fameux Ben Bradlee). Pieds sur la table, cafés brûlant, logorrhées à n'en plus finir, la tension est de trouver l'actualité pertinente, la bonne accroche... jusqu'à ce que A.J Parker (Mamoudou Athie) suggère de s'intéresser à la vie privée de la coqueluche du parti démocrate : Gary Hart. La machine est lancée. Puisqu'il ne faut jamais oublier que le devoir médiatique, c'est aussi évidemment de se renseigner sur nos élus.
The Front Runner n'atteint jamais l'intensité des chefs-d'oeuvre qu'il cite. Mais le film a l'avantage d'assumer son caractère. C'est du pur cinéma, non pas un documentaire. En s'appuyant sur l'émotion de ses personnages, Jason Reitman retranscrit à merveille la débandade politique que peut provoquer le scandale. Après la révélation, vint le choc, et chacun affronte avec dégoût la réalité. Et c'est là que le film de Reitman tire son épingle du jeu ; lorsqu'il met en scène le démantèlement du couple Hart. Une histoire d'amour touchante, tapissant de velours la toile de fond.
The Front Runner de Jason Reitman, en salle le 16 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.