CRITIQUE FILM - Plus que jamais le cinéma américain se veut engagé, politique et révolutionnaire. Alors que le pays connaît des ressorts politiques et sociaux alarmants, le cinéma s'en veut le miroir, le constat et, parfois, la solution. "The Hate U Give - La haine qu'on donne" en est un nouvel exemple.
Alors que le cinéma américain se penche de plus en plus sur les violences policières exercées sur la communauté afro-américaine, à l'image de la société dans laquelle il évolue, The Hate U Give se place dans cette parfaite continuité. Ces dernières années, les œuvres cinématographiques mettant en scène la haine raciale aux Etats-Unis se sont, à juste titre, multipliées. L'année dernière, le poignant BlacKkKlansman, réalisé par Spike Lee, a brillé par son intelligence et son engagement lors du dernier Festival de Cannes. Ce dernier revenait sur l'histoire vraie d'un policier noir qui, dans les années 70, s'est infiltré dans le Klu Klux Klan. Le long-métrage se clôturait brutalement (mais de manière totalement juste) sur les événements récents ayant eu lieu à Charlottesville. Un parallèle essentiel qui, au-delà d'être sensationnel, montrait l'urgence avec laquelle les luttes contre le racisme et les discriminations raciales devaient être traitées.
C'est dans la même veine que s'inscrit ce long-métrage réalisé par George Tillman Jr. à qui l'on doit notamment Faster (un film d'action totalement insignifiant) ou encore Chemins croisés (une romcom oubliable). Cette fois, le réalisateur s'est chargé d'un sujet plus fort, adapté d'un roman éponyme écrit par l'autrice Angie Thomas, sorti en 2017. Il met en scène Starr (remarquablement interprétée par Amandla Stenberg), une adolescente témoin du meurtre de son ami Khalil (Algee Smith), assassiné par un policier blanc lors d'un banal contrôle de papiers d'identité.
Une oeuvre accessible
"La même histoire mais pas le même nom" est une des répliques que nous pouvons entendre pendant le film. Une réplique forte qui résume parfaitement bien, à la fois le film, mais aussi la situation urgente. En soi, le long-métrage ne bénéficie pas d'un scénario original, d'une histoire dont on ne connaît tristement pas la fin. Mais il est rafraîchissant par le point de vue qu'il aborde : celui d'une adolescente témoin qui sera profondément bouleversée et marquée par cette tragédie. Le long-métrage va suivre son parcours pour se remettre de ce deuil mais également celui d'une adolescente qui prend conscience de son identité et qui laissera naître en elle une volonté politique et sociale. C'est un peu la naissance d'une icône qui se dresse devant nos yeux. Celle qui relève la tête, malgré les menaces et le contexte social dans lequel elle évolue.
Intelligent dans l'écriture de ses personnages qui bénéficient parfois d'un schéma caricatural afin d'appuyer le parcours du protagoniste principal, The Hate U Give est également très accessible. Le point de vue qu'il aborde permet de créer une écriture fluide, des arcs narratifs compréhensibles et des situations reconnaissables afin qu'il puisse s'adresser à tout le monde, aux avertis et non-avertis. Aux plus jeunes comme aux plus vieux. S'il ressemble de loin à un teen movie, il est porteur, en réalité (comme beaucoup d'autres teen movies), d'une analyse sans vernis de la société actuelle.
Le racisme ordinaire
En parallèle au procès qui se déroule pour le meurtre de son ami, Starr, scolarisée dans un établissement privé essentiellement composé d'élèves blancs et riches, va prendre conscience du racisme ordinaire auquel elle fait face tous les jours. Encore une fois, grâce à des détails qui peuvent parler aux adolescents, comme la musique qu'ils écoutent, la façon dont ils parlent (Starr explique en quelques lignes que ses camarades privilégiés peuvent parler d'une manière plus "populaire" qu'elle sans qu'ils soient victimes d'une stigmatisation), dont ils s'habillent, l'héroïne pointe du doigt le racisme ordinaire. Celui qui peut tenir dans la main, celui qui peut s'exprimer par une phrase, qui peut paraître banale mais qui, en réalité, cache l'héritage d'une société profondément blanche et qui désire le rester.
L'héroïne va également comprendre que ses camarades n'ont pas, contenu de leurs privilèges, la même éducation, les mêmes priorités et les mêmes sensibilités quant à de tels sujets. On pense notamment à la scène où, lorsqu'une manifestation est organisée pour défendre les droits de Khalil, certains de ses camarades sont ravis de ne pas avoir cours. Mais la scène la plus forte de The Hate U Give reste celle qui l'ouvre : lorsque Starr est une petite fille qui, entourée de sa mère et de ses frères, écoute son père, membre du mouvement Black Panther, lui dicter ses droits. Une scène forte tant par ce que nous découvrons des jeunes enfants confrontés à l'injustice de ce monde, tant par le discours plein de fierté et d'espoirs d'un père de famille.
The Hate U Give - La haine qu'on donne de George Tillman Jr., en salle le 23 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.