CRITIQUE / AVIS FILM - David Fincher avance masqué avec "The Killer", thriller violent aux faux airs de série B, pour proposer une expérience inédite de cinéma, dont le faux rythme est aussi troublant que délicieux.
The Killer, le retour du roi Fincher
Dans sa longue et magistrale séquence d'introduction, The Killer montre le tueur à gages en question se préparer patiemment méticuleusement à un tir de précision... pour finalement le rater. C'est le premier faux pas du film de David Fincher, mais élégant pas de côté, de la valse funeste à laquelle le réalisateur de Seven et The Social Network invite ses spectateurs. The Killer est en effet un film tout en décalage, en arythmie, une introspection tragique dissimulée dans une série B qui rend autant hommage au film noir d'exploitation des années 70 qu'à la bande dessinée dont il est l'adaptation.
On pourrait croire, à première vue, que The Killer est un "petit" Fincher, un film "mineur" dans une filmographie de grandes oeuvres. Parce que cette histoire chapitrée de vengeance, structurée simplement autour d'exécutions, n'a pas les atours baroques de Seven, la folie de Fight Club, ou l'ambition démesurée de Zodiac ou de The Social Network. Mais a priori seulement.
Il y a une torpeur qui se diffuse de The Killer, mais plutôt qu'une paresse ou un ennui, il s'agit d'une lenteur savamment étudiée, avec un cadre posé et conventionnel pour se faire succéder des plans simples. Ce n'est que pour mieux, quand le trouble gagne le tueur - parfaitement incarné par un Michael Fassbender mutique - que la caméra se mette à trembler, à s'agiter, à se renverser. L'exemple parfait étant cette phénoménale séquence de combat dans l'obscurité d'une maison floridienne, où David Fincher rappelle qu'il est un maître au moment de filmer les ombres, les zones grises, le dégradé de couleurs de la perte de contrôle.
Un tueur (et un réalisateur) obsédé par le contrôle
Le contrôle, c'est bien ce qui obsède le tueur. À plusieurs reprises, on le voit ainsi lire son pouls cardiaque sur sa montre connectée. Une information, mais aussi une règle : agir dans le calme, garder le contrôle. Un mantra qu'il se répète souvent, dans son monologue intérieur permanent, et qui finit par se dissoudre : "Respecte le plan. Anticipe. N'improvise pas. N'exécute que le contrat pour lequel on te paye." Le tueur a un rythme, une méthode, et lorsqu'il rate son tir d'ouverture, c'est ensuite tout ce rythme et cette méthode qui sont remis en question. Il voudrait être à part, il voudrait s'abstraire du monde, et de sa vitesse folle, dans lequel il agit. Mais, et ce n'est pas faute d'essayer, il n'y parvient plus.
De Paris à Saint-Domingue, puis à New York en passant par la Louisiane et la Floride, comment ne pas laisser de traces ? Comment disparaître dans un monde ultra-connecté, qui consomme et élimine à grande vitesse, tout en édifiant des montagnes de données. Quelle identité avoir ? Le tueur est plein de contradictions : il a toujours la même apparence, mais il change sans cesse de nom. Il a la routine et la discrétion d'un moine, mais il vit dans une luxueuse villa, un cocon oisif décoré avec soin. Une invitation à l'oisiveté qu'il dénonce pourtant au début du récit. À l'image de son personnage principal, comme de son réalisateur, The Killer est ainsi et volontairement plein de ces mêmes contradictions.
Une allégorie d'une précision vertigineuse
David Fincher a réalisé pour The Killer un travail formidable sur le montage des images et peut-être encore plus sur le montage sonore, qui nous piège dans la psyché de son personnage. Un travail d'orfèvre, dans lequel chaque élément a sa juste place. Ainsi, le reste du casting - Charles Parnell en avocat-commanditaire de meurtres, Tilda Swinton en tueuse élégante et vicieuse - peut apparaître de prime abord sous-exploité, mais il est en réalité parfaitement utilisé, lui aussi soumis au seul rythme bouleversé des mouvements et actions du tueur. Il est "l'homme qui n'était pas là", et eux ne sont pas vraiment là non plus, disparus aussitôt qu'arrivés. Ainsi, que The Killer plaise ou non, tout s'y tient néanmoins dans une cohérence totale.
L'ultime qualité de The Killer est d'offrir une allégorie multiple, pour résoudre de nombreux paradoxes. Peut-on être un tueur froid et implacable et avoir une humanité ? Peut-on, dans ce monde brouillé, se distinguer ? Faire partie de l'élite, est-ce savoir comment se fondre dans la masse ? Peut-on faire un beau geste artistique dans une série B ? Et peut-on, enfin, prendre le temps long de voir une oeuvre de cinéma sur Netflix ? Autant de questions dont les réponses peuvent se trouver dans ce thriller très réussi de David Fincher.
The Killer de David Fincher, sur Netflix le 10 novembre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.