CRITIQUE / AVIS FILM - Rick Alverson, ancien musicien, continue son ascension dans le cinéma avec son troisième film, "The Mountain : une odyssée américaine". Pour l'occasion il réunit Jeff Goldblum, Tye Sheridan et le français Denis Lavant.
The Mountain est librement inspiré de la vie du neurologue américain Walter Freeman, connu pour ses lobotomies controversées. Situé dans les années 1930, le long-métrage raconte le quotidien du docteur Wallace Fiennes (Jeff Goldblum) qui emploie le jeune Andy (Tye Sheridan) comme photographe pour documenter sa méthode de lobotomie. Peu à peu le jeune Andy va s'identifier aux patients et rejeter les méthodes du docteur Fiennes.
Métaphore de la passivité
Avec The Mountain, Rick Alverson cherche à mettre en lumière la passivité qui domine la population moderne. En s'intéressant à la lobotomie, le cinéaste cherche à créer un parallèle entre les patients du docteur Fiennes et le spectateur, plus largement la population contemporaine, azimutée par les écrans. Il veut mettre en exergue un peuple d'assistés, fainéant, ne cherchant pas à déceler le vrai du faux, ne cherchant plus à utiliser sa capacité d'analyse. La lobotomie est ainsi une métaphore de notre société moderne, où ses membres sont des zombies au service du système.
The Mountain représente une utopie bafouée, un rêve américain dégradé. Le long-métrage se veut une représentation d'un cinéma étrange, à l'opposé de ce qu'il veut dénoncer : un cinéma paresseux, qui nivelle les spectateurs par le bas. Pour lui, le cinéma et les séries sont aujourd'hui conçus pour rendre les consommateurs passifs, baisser leur niveau intellectuel, les rendre malléables. Avec The Mountain, le cinéaste met en parallèle cette réalité et la lobotomie. Le cinéma moderne est cette lobotomie, qui endort des spectateurs amorphes. Ainsi, The Moutain est une critique de l'art actuel, mais plus largement d'une société de nihilistes fatigués, qui peine à se renouveler.
Un long-métrage déroutant
The Mountain est une œuvre perdue dans le temps et dans l'espace. Un film minimaliste, très silencieux, qui cherche à s'imposer seulement par les ressentis, sans artifice, ni esbroufe. De plus, Rick Alverson veut que le spectateur s'interroge sur l'artificialité du film. Jamais les personnages ne sortent du cadre, ils sont des avatars du public, des mannequins inertes, dirigés par le destin de l'histoire. Le format 4/3 du long-métrage ajoute à cette notion d'emprisonnement dans l'esprit tourmenté des personnages, et donc par conséquence du spectateur. Les protagonistes sont enfermés dans ce petit bout d'écran, ne peuvent en sortir, prisonniers de leur propre manifestation, de leur propre conscience limitée. Avec The Mountain, Rick Alverson veut démontrer que la société est devenue paresseuse, acculée par une flemmardise qui nous consume.
The Mountain doit également beaucoup à son casting. Jeff Goldblum en tête, qui peut jouer de son flegme habituel, l'utiliser à son paroxysme pour camper un personnage distant, froid, calculateur. Tye Sheridan est lui incroyable dans la peau de ce jeune homme complètement passif, un personnage inactif, totalement absent, languissant, attendant presque la mort, déjà mort intérieurement. Un personnage intéressant, représentation du consommateur lambda, de l'individu classique, lobotomisé par la société, esclave d'un système dans lequel il est bloqué, où il n'est plus maître de ses agissements. Simple robot en pilotage automatique, qui n'a plus aucun goût, plus aucun désir, plus aucune volonté, totalement annihilé par la société. Et lorsque enfin il s'éveille, le docteur Fiennes, allégorie de la structure sociale hiérarchisée et dominatrice, décide de le brider. Vient enfin Denis Lavant, en roue libre totale, très percutant dans sa prestation qui passe constamment de l'anglais au français. En plus d'être un film étonnant, The Mountain offre des prestations inédites d'un casting hétéroclite.
The Mountain : une odyssée américaine de Rick Alverson le 26 juin 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.