CRITIQUE / AVIS FILM - Alexander Skarsgård se lance dans une vengeance sanglante dans “The Northman”, superbe nouveau long-métrage de Robert Eggers inspiré des sagas nordiques.
Les Vikings à l’honneur
Bien que l’univers nordique soit assez présent dans d’autres médiums (la série Vikings, les jeux vidéo Assassin’s Creed Valhalla et God of War : Ragnarök), on ne peut pas dire que le cinéma soit aujourd’hui particulièrement friand de cet univers. Le 13e guerrier remonte à 1999, Valhalla Rising à 2009. Et même si Thor a gagné en popularité avec Marvel, on ne peut pas dire que Thor : Ragnarok (2017) ait particulièrement cherché à rendre hommage à cette mythologie. Dès lors, c’est tout naturellement que le troisième long-métrage de Robert Eggers, The Northman, intrigue.
Rappelons que c’est avec The Witch, en 2015, qu’on découvrait le talent du cinéaste. Un film d’horreur fascinant sur fond de sorcellerie, dans lequel Anya Taylor-Joy faisait ses premiers pas. Après cela, le réalisateur a confirmé avec The Lighthouse (2019), film halluciné en noir et blanc avec Robert Pattinson et Willem Dafoe. The Northman apparaît alors plus accessible, avec une histoire linéaire et plutôt classique, mais sublimée par la mise en scène d’Eggers. C’est surtout l’occasion pour le cinéaste de traiter d’une nouvelle mythologie, après les sorcières et les sirènes de ses précédents films.
Pour The Northman, le cinéaste s’est inspiré directement des sagas nordiques (qui auraient influencé Shakespeare pour l’écriture d’Hamlet). On suit un jeune Amleth, qui assiste à la mort de son père, le roi Horwendil. Ce dernier est trahi par son propre frère, Fjölnir, qui s’empare ainsi du trône et ordonne la mort du jeune prince. Mais Amleth parvient à s’enfuir et jure de revenir un jour pour venger son père, secourir sa mère, et tuer Fjölnir.
The Northman, entre rêve et réalité
Des années plus tard, Amleth a perdu toute humanité et a oublié même sa mission vengeresse. Ayant été recueilli par un groupe de guerriers, il se livre avec eux au pillage et au massacre d’un village sans laisser paraître la moindre émotion. Une séquence virtuose durant laquelle Eggers fait parler son talent de metteur en scène, tandis qu’Alexander Skarsgård se révèle d’une brutalité folle. L’acteur adopte une démarche lourde, presque animale, et reste de marbre lorsque des enfants du village sont brûlés vivants. Il faudra alors une intervention divine pour lui rappeler sa promesse.
La force du cinéaste avec The Northman est de présenter une œuvre qui se veut authentique, avec une violence froide où personne n’est épargné, tout en ouvrant la porte au spiritisme. Car ces éléments (Odin, le Valhalla ou encore les Valkyries) qui, pour nous, relèvent du fantastique, sont bien vrais dans la culture viking. Et dans son film, Eggers fait converger réel et onirisme de fort belle manière, avec des apartés face caméra très théâtrales. Il parvient de plus à maintenir un doute permanent sur ces apparitions mystiques. Du moins, il laisse au spectateur la possibilité d’accepter ou non cette mythologie – déterminant pour la conclusion, tragique ou positive selon notre degré d’acceptation.
Dès lors, le réalisateur peut se livrer à une succession de séquences viscérales absolument fascinantes et d’une beauté certaine. Que ce soit lors du rite de passage hallucinant d’Amleth (qui croise pour l’occasion l’excellent Willem Defoe), dans les visions astrales de l’arbre généalogique du héros, ou dans son union d’une rare douceur avec Olga (superbe Anya Taylor-Joy), une esclave vendue à Fjölnir.
Une proposition sublime de Robert Eggers
La qualité visuelle de The Northman est indéniable. Autant dans la mise en scène d’Eggers, que les décors naturels employés ou l’utilisation des couleurs. On passe notamment d’une grisaille froide à un bleu tendu avant un final brûlant dominé par les couleurs chaudes d’un volcan en éruption. Et si Alexander Skarsgård se donne physiquement, le reste du casting (Nicole Kidman, Anya Taylor-Joy, Willem Dafoe ou encore Ethan Hawke) affiche une confiance nécessaire en Robert Eggers dans les passages les plus délicats où le ridicule aurait pu l’emporter.
Malgré toutes ces qualités, on pourrait juger le scénario de The Northman trop classique. Au fond, oui, il s’agit d’une simple histoire de vengeance. Cependant, de cette base, Robert Eggers tire une vraie tragédie grecque où la question du choix et du destin se pose. De plus, le réalisateur s’en va désacraliser les figures parentales et héroïques avec un retournement de situation attendu mais nécessaire. Dès lors, au sein d’une production hollywoodienne de moins en moins originale et surprenante, la proposition radicale et déstabilisante d’Eggers ne peut qu’être la bienvenue.
The Northman de Robert Eggers, en salles le 11 mai 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.