Après « Oslo, 31 Août » et « Back Home», le cinéaste norvégien Joachim Trier s'attaque au film de genre. Mais en restant trop terre à terre sans plonger entièrement dans le fantastique, « Thelma » manque le coche.
Thelma (Eili Harboe), une jeune étudiante mutique et réservée, débarque dans une université d’Oslo après avoir quitté le foyer familial et son catholicisme un peu envahissant. Après avoir été victime d’une crise d’épilepsie très violente, elle fait la connaissance d’Anja (Kaya Wilkins), une étudiante pour qui elle éprouve instantanément une attirance, que Thelma va, au départ, tenter d'ignorer. Celle-ci va alors devoir mener deux fronts dans le même temps : exprimer progressivement ses désirs envers Anja et découvrir l’origine de ces crises à répétition qui handicapent son quotidien.
Au fil de ses recherches, Thelma découvre que ces crises sont en réalité la manifestation d’un mal surnaturel qui l’habite, le même qui a conduit sa grand-mère dans un hôpital psychiatrique. Au fur et à mesure, ses pouvoirs se révèlent : Thelma peut perturber son environnement jusqu’à faire disparaître quelqu’un, littéralement. Viendront ensuite plusieurs révélations sur le passé tourmenté de la famille de Thelma, expliquant l'origine de la méfiance de ses parents quant à son départ du foyer et leur inquiétude permanente concernant le sort de leur fille.
Nature morte
Avec un scénario aussi codifié, Thelma joue ouvertement avec des figures inhérentes aux films de genre fantastique : vierge effarouchée qui découvre subrepticement sa sexualité à son arrivée à l’Université, parents ultra-catholiques qui droguent leur fille pensant qu’elle abrite Satan, etc. On sent l’envie de Joachim Trier d'articuler un vrai film d’auteur autour des codes pré-établis du film de genre.
Mais trop vieillots et dépassés, Trier oublie que ces codes archétypaux étaient, au départ, compensés par la fascination qu’exerçait la folie du cinéma de genre dans les années 70, à l’heure où Carrie au bal du diable de Brian De Palma régnait. Ici, la fascination fantastique n'est qu'une nature morte aux teintes grisâtres, qui n'apparaît qu’en sous-texte d’un film d’apprentissage sur l'éveil de la sexualité d'une jeune étudiante qui semble plus inquiète à l’idée de s’intégrer socialement qu’à l’idée de découvrir les origines de la maladie et des pouvoirs qui semblent la posséder.
Naturalisme et esprit de sérieux
La plupart du temps, on en vient à attendre avec impatience que le surnaturel se manifeste et bouleverse le cadre très prosaïque du cinéma naturaliste, au sein duquel Thelma prend place et avec lequel Trier était sans doute plus à l’aise. Thelma est un film divisé dont la symbiose ne prend pas. Le scénario, très tenu, ne se lâche jamais. C’est à la fois ce qui permet à Thelma de disposer de scènes très fortes, très intenses, s'exprimant par la fracture stylistique qu'elles représentent (la rareté de ces occurrences intensifie leur impact), mais aussi ce qui entretient un esprit de sérieux bridant le film et l’empêchant de décoller. Au fond, on assiste à un cas d’école : la force de De Palma était, justement, d’assumer jusqu’au bout son postulat de départ quitte à flirter, bien souvent, avec le grotesque voire carrément le mauvais goût.
Carrie au bal sans diable
Et c'est bien le seul (gros) problème de Thelma : en tous points, le film aurait pu être une réussite, si seulement Joachim Trier avait à un moment voulu se détacher des évidents parallélisme qu’il illustre. Le petit jeu de miroir, assez banal, entre la sorcellerie sataniste et la découverte d’une sexualité jugée anormale par ses parents très religieux (Thelma est lesbienne), exprime la maladresse d’un auteur qui a voulu s’approprier le genre tout en le rendant plus lisse, plus convenu, beaucoup plus sage, pour au final rendre ses métaphores et ses allégories assez plates.
Cette façon de policer le genre est à l’image de son actrice principale, Eili Harboe en Thelma, beaucoup moins crédible en étudiante paria que Sissy Spaceck, sur le visage de laquelle toute la folie de Carrie était déjà contenue. Sans l’idée d’attendre de Trier un remake du film de De Palma, il paraît impossible de nier qu’une énergie chaotique manque à ce Thelma.
Frustration involontaire
C'est le cas notamment de la tentative d'érotisme vers le milieu du film. L'héroïne éponyme de Thelma semble en effet se sensualiser au fur et à mesure de fréquenter la belle Anja, jusqu'à une scène où les frontières entre la rêverie, le fantasme et la réalité sont tout à coup troublée au cours d'une soirée. Thelma tire sur un joint alors qu'Anja la scrute avant de la rejoindre, pour l'embrasser, puis, peu à peu, se rapprocher encore plus.
La scène est forte, libératrice, presque exutoire : Thelma semble enfin pouvoir jouir des plaisirs de son corps, plaisirs que son éducation lui a si longtemps refusé. Plot twist : la séquence n'était qu'une hallucination de Thelma et des effets placebo d'une simple cigarette présentée comme de l'herbe. Cette séquence illustre bien le problème majeur du film : Thelma, au même titre que le spectateur, est interrompu dans son élan. Et par le fait que la réalité prenne le devant et déçoive ses fantasmes, mais bien par le fait que le film lui-même n'exploite pas jusqu'au bout ses idées érotiques, mystiques et fantastiques.
Une pudeur rédhibitoire
Thelma souffre donc de cette dichotomie issue de sa propre conception. Étrillé entre un réalisateur-auteur reconnu - avec Oslo 31 Août, drame naturaliste sur la réinsertion d’un ex-toxico, puis avec Back Home, drame familial intimiste et nostalgique -, et sa volonté de réaliser un film fantastique avec la même retenue et la même pudeur que pour ses deux précédents films.
Le fait que le film ne sorte pas vraiment de ce canevas d’auteur aurait pu ne pas être un défaut en soi. Avec Grave, Julia Ducournau avait par exemple su faire cohabiter un film de genre débridé avec un film d'intégration plus auteuriste, le tout en assumant jusqu'au grotesque l'aspect fantastico-horrifique de son film. Mais l'intrigue de base, en mettant de côté les excursions fantastiques, ne passionne pas. Loin d’être foncièrement raté, Thelma rejoint le rang de ces longs-métrages qui s’arrêtent à mi-chemin. Dommage.
Thelma de Joachim Trier, en salle le 22 novembre 2017. Ci-dessus la bande-annonce.